Ambiance musicale : Elsa – Los Destellos

En rentrant d’un trek de dix jours, où les habitudes sont réglées par les nécessités de la marche, de la faim et du repos, tout devient possible, avec un emploi du temps qui reste à remettre en place. Cependant, on n’échappe pas à d’autres impératifs, comme la laverie ou le triage de photos.

Ce matin était plutôt agréable : la France venait d’entamer son Mondial avec une victoire apparemment poussive. Les Argentins de l’auberge ont vécu leur match nul avec passion et ferveur, conseils aux joueurs et maté à la main.

Quant au match du Pérou, il a entrainé l’arrêt simple de la ville, avec la suspension informelle de la circulation, le regroupement des gens sur la plaza de Armas ou devant les écrans de télévision et de grands cris derrière les volets, quand une action paraissait pouvoir sortir le pays de la défaite qui se dessinait avec le temps.

En ayant un peu plus de temps disponible, j’ai voulu faire plus ample connaissance avec cette ville perchée à trois mille quatre cents mètres d’altitude, ancienne capitale de la civilisation inca. Elle comprend aujourd’hui trois cent mille habitants et a perdu de sa superbe économique au profit de Lima.

Pour autant, elle reste le centre culturel et touristique du pays, en étant un carrefour des Andes et à proximité du Machu Picchu et de la Vallée sacrée, que la rivière Urubamba a creusée entre Pisac et Ollantaytambo.

Géographiquement, le guide nous a fait remarquer que la ville avait la forme d’un puma, ce qui pouvait descendre d‘une volonté historique. D’ici partaient les quatre coins de l’empire inca, avec le Chinchay Suyu au nord, jusqu’au début de la Colombie, l’Anti Suyu à l’est, dans le Pérou amazonien, le Qulla Suyu au sud, jusqu’à toucher l’Argentine et le Kunti Suyu à l’ouest, qui s’étendait jusqu’à l’océan Pacifique.

Lorsque les colons espagnols ont pris et détruit une bonne partie de la ville en 1534, ils ont construit églises et cathédrales par-dessus les fondations d’anciens temples incas, comme celle de la Compagnie de Jésus. Il n’est donc pas rare de voir des gros murs aux jointures parfaites et sans mortier, signatures de l’architecture inca, en-dessous de murs coloniaux plus grossiers.

Sur la plaza de Armas flottait au vent le drapeau de la ville, arc-en-ciel comme les étendards incas. Il irradiait également la basilique et un certain nombre de bâtiments.

Après un repas sur les hauteurs de la ville, nous avons voulu sortir pour boire et danser mais nous n’étions pas en groupe, et il nous manquait l’énergie nécessaire. De plus, des rues étaient bloquées et des mouvements de foule se créaient au gré de l’organisation douteuse des barrages de police, pour la fête des sons et lumières. Nous nous sommes donc simplement résignés.

Le lendemain, j’ai eu besoin de visiter le marché San Pedro, et pas seulement pour la parte alimentaire. Au-delà de la partie centrale avec ses stands de produits locaux et sa cantine, d’autres bâtiments annexes renfermaient tout le nécessaire, des semelles à la fermeture éclair, en passant par l’électronique et la possibilité de faire cirer ses chaussures. Le trek avait laissé des traces…

Reconfigurés, nous avons alors pris nos sacs avec Antoine et sommes partis pour les marais salants de Maras. La route était très agréable et nous offrait des vues où se mélangeaient des parcelles de cultures jaunes et vertes sur fond de montagnes aux pics enneigés.

Descendus du bus à un embranchement, nous avons remis nos belles chaussures de randonnée et avons poursuivi, mais avec les sacs complets cette fois. Nous avons déjeuné avec les restes du trek avant d’arriver au sommet d’une butte, préambule à la descente sur les salines.

Ces marais, esthétiquement remarquables, sont organisés en terrasse, avec des bacs marron clair ou foncé qui retiennent l’eau saturée de chlorure de sodium du ruisseau dont la source jaillit tout près, à plus de trois mille trois cents mètres d’altitude. En séchant, ils fournissent une matière première précieuse qui fait la richesse de cette région éloignée de la mer.

Organisées en coopérative, huit cents familles possèdent les trois mille six cents bassins et en retirent « le sel de la terre » pour en faire leur gagne-pain. Si elles ont été développées au fil du temps, ces salines remontent en fait à l’époque pré-inca.

Comme nous sommes arrivés à pied, par-dessus l’exploitation, nous avons manqué le parking et les barrières d’entrée, et avons donc traversé le complexe de bas en haut, sans payer.

Arrivés dans le bas de la vallée, nous avons traversé un petit village poussiéreux, au tuk-tuk vrombissant et à la délicate quiétude des endroits peu fréquentés par les touristes, passant pourtant en nombre à proximité, sans s’arrêter. Nous avons alors pris le bus pour Ollantaytambo et fait la rencontre de Grecia à l’intérieur.

Dans cette ville se trouve une forteresse inca qui a recueilli tous les résistants de l’empire après la chute de Cuzco. Elle offre la possibilité de voir ces bâtiments, rues et patios conservés tels qu’à l’époque.

Après la découverte du petit centre, nous avons pris un menu touristique pour le moins frugal, que nous avons complété avec des desserts. Une fois Grecia accompagnée à la gare, dans le train pour le Machu Picchu, nous sommes rentrés et avons regardé un reportage de National Geographic sur le Choquequirao et les lignes de Nazca, comme si nous l’avions fait depuis notre canapé français !

Le lendemain, nous avons visité les ruines gratuites, qui offraient d’ailleurs une belle vue d’ensemble sur celles payantes. Comme à l’accoutumée, nous avons retrouvé l’aménagement en terrasse.

Puis nous avons poursuivi dans le village, qui restait finalement peu exploré, si ce n’est son centre. Ce fut l’occasion d’être témoin de diverses scènes de vie.

De retour à l’auberge, nous avons mangé sur la terrasse, avec guacamole et mate. Pour étancher notre soif de savoir et terminer la trilogie, nous avons regardé un autre documentaire sur le Machu Picchu, avant que je ne salue Antoine pour la dernière fois. Nos chemins se séparaient là, après plus de quinze jours de vie commune.

Arrivé à Cuzco de nuit, je me suis retrouvé au milieu d’un certain nombre de chars représentant des allégories et de personnes répétant des danses pour un défilé. Si le lendemain promettait d’être animé, la nuit ne laissait aucun mystère sur le froid qui allait s’emparer de la ville. L’auberge elle-même était glacée.

Cette journée allait donc être la dernière ici. Sans presser les choses, j’ai rejoint le marché San Pedro, avant de découvrir la plaza de Armas pleine de monde, en plein carnaval de l’université de technologie, où les différentes promotions d’étudiants dansaient lors de grandes processions.

La statue de Pachacutec, neuvième Sapa Inca et artisan de l’expansion de l’empire, servait de toile de fond pour les photos souvenirs des familles.

Après cela, j’ai continué de déambuler dans les rues aux murs impressionnants, jusqu’à tomber sur la pierre aux douze angles, en allant au marché San Blas. Les churros se sont invités à la fête, garnis de chocolat, avant de succomber à un massage « inca especial » pour tenter de résoudre les nœuds formés dans mon dos pendant la marche.

Il ne me restait plus alors qu’à terminer avec le musée du chocolat, où j’ai modestement découvert le processus de fabrication d’un des aliments les plus satisfaisants qui puissent exister et qui a la particularité d’être surtout consommé dans les pays développés, quand il est principalement produit dans les pays en développement.

De la récolte des cabosses sur le cacaoyer au tri des fèves et de la pulpe blanche, puis l’étape de la fermentation, stoppée par le séchage des fèves puis leur torréfaction, poursuivie par le pelage, le pressage et le tempérage qui va donner son aspect final au produit, le protocole est quasiment le même depuis sa production par les Mayas, puis les Aztèques ou le moment où il a traversé l’océan.

Aujourd’hui, le Ghana et la Côte d’Ivoire produisent à eux deux plus de cinquante pour cent du chocolat mondial.