Ambiance musicale : He’s alive – Adam Taylor

Mon épopée cusquénienne s’est terminée à m’en rappeler les mésaventures gastriques du passage de frontière entre la Chine et le Vietnam. Ma toute petite forme, pour ne pas dire moins, prenait sa source dans cette fin de rhume (qui n’attendait que je retrouve de basses altitudes pour s’en aller) et une turista mémorable.

Finalement, comparé à de nombreux nord-américains contraints de prendre des antibiotiques à chaque fois qu’ils avaient l’audace de manger dans un restaurant local, mes deux épisodes, en tout et pour tout, ressemblaient à un tout petit malheur, au regard de ce à quoi j’exposais mon organisme !

Entre cela et l’achat de mon billet d’avion retour pour la France, après de multiples péripéties de service client, on peut dire que ma première journée à Arequipa ne fut pas la plus tranquille. Car oui, ça y est, c’était posé : j’avais une date de retour, et ce n’était pas un évènement insignifiant.

Je n’avais posé aucun jalon pour mon retour, si ce n’est celui d’arriver jusqu’en Colombie, qui figurait sur ma liste de pays concoctée avant de partir. J’avais écarté le Costa Rica en chemin, me rendant compte que le pays proposait des vacances plutôt en décalage avec mon périple sud-américain, où toutes les réserves de nature étaient incroyables mais détenues très souvent par des étrangers et relativement chères.

Ainsi, j’ajoutais un élément auquel je m’étais complètement soustrait depuis mon départ : la contrainte du temps. A l’exception des visas asiatiques qui introduisaient des limites, certes repoussables, je voyageais avec la liberté de ceux qui ont le temps, et quelle liberté…

J’en faisais d’ailleurs un pilier de mon aventure, réalisant et répétant à l’envi qu’on dispose tous de deux ressources fondamentales, à savoir le temps et l’argent. Celui qui n’a pas l’un peut faire avec l’autre, et inversement.

Cela pouvait donc contrecarrer le peu de plans que j’avais et réduire le temps volontairement accordé à chaque destination mais il y avait une nécessité. Lors d’une discussion en vidéoconférence avec la famille, à plus de dix-mille kilomètres de là, j’ai compris qu’avec le peu de visibilité sur mon parcours et le temps passant, l’inquiétude pouvait grandir de pair et qu’il serait bon de rentrer un jour prochain.

D’autre part, j’avais attendu d’assister à la naissance du troisième enfant de mon frère mais n’avais pas pu le faire pour le premier de ma sœur, quasiment un an plus tôt. Décider de rentrer dans un mois et demi me donnait la possibilité de le rencontrer pour la célébration de sa première année, et ma sœur laissait entendre que ce serait vraiment bien, pour ne pas dire obligatoire.

L’affaire était donc scellée, jusqu’à ce que je me frotte au parcours client d’Air Europa, où le billet paraissait réservé mais non payé alors que ma carte bleue était bien débitée. Parcourir la rue à la recherche de cabines d’appels téléphoniques internationaux, en état de marche, avec les troubles qui m’animaient, n’était pas franchement une joie.

Jusqu’au moment où j’ai entendu le meilleur message d’attente de toute ma vie :

« Afin d’écourter votre attente, merci de bien vouloir patienter quelques instants… »

Atteint dans mon intégrité mais pas stoppé pour autant, j’ai décidé de partir faire un petit tour de la ville, en commençant par l’incontournable plaza de Armas avant de rejoindre le mirador de Yanahuara. J’étais, à deux mille trois cent trente-cinq mètres d’altitude, dans la deuxième ville nationale en nombre d’habitants.

Ce faisant, j’ai découvert une cité blanche, dont les bâtiments coloniaux ont été construits avec le sillar, cette pierre blanche issue des éruptions des deux volcans surplombant la ville : le Misti, s’élevant à cinq mille huit cent vingt-cinq mètres, et le Chachani, culminant à six mille soixante-quinze mètres. Ce sont ces mêmes éruptions qui ont rendu le sol extrêmement fertile, et cette terre, une des plus productives du pays.

De retour à l’auberge, je me suis couché à dix-huit heures sans jamais pouvoir me relever pour diner. Grâce aux médicaments et au large sommeil, le lever s’est avéré meilleur. J’avais besoin de cela pour accomplir mes deux objectifs du jour : me préparer et aller au départ de mon prochain trek et suivre le match France – Pérou qui s’annonçait bouillant, pour un pays dont la victoire était impérative pour son deuxième match, après la défaite du premier.

Pour la nation entière, il s’agissait d’une grande fête puisque sa dernière participation à la Coupe du Monde de football remontait à 1982, soit une éternité. Dans les rues, les marques de ralliement pullulaient et les télévisions vrombissaient la devise de la chaine rediffusant les matchs :

 « Somos Latina, somos el canal del Mundial ! »

Après avoir rapidement fait les courses pour la randonnée, j’ai choisi d’aller à l’Alliance Française, où je pensais trouver l’ambiance la plus agréable, avec des supporters des 2 camps. En passant devant un gros bar de la plaza de Armas, la Marseillaise a retenti et mes compatriotes s’en sont donnés à cœur joie. Des gens vendaient croissants et pains au chocolat aux personnes en mal du pays.

Suite à une grosse demi-heure de jeu, la France a pris l’avantage, pour ne plus le lâcher ensuite, malgré les nombreux encouragements dans la salle. La mi-temps a été l’occasion de monter sur le toit de l’établissement et de revoir le Misti, mais aussi le Chachani, majestueux, au-dessus du plus grand couvent du monde, celui Santa Catalina.

J’ai ensuite laissé une partie de mon paquetage à l’auberge avant de partir pour Cabanaconde en bus. Les six heures de trajet m’ont offert de magnifiques paysages de montagnes et de zones sèches, minérales, et un passage à plus de quatre mille huit cents mètres d’altitude.

Arrivé au village, plutôt discret, la plupart des infrastructures étaient déjà closes, la nuit précipitant les fermetures. J’ai donc pris un lomo saltado où c’était encore possible de le faire puis j’ai installé ma tente près de l’arène à corrida, au plus près de l’entrée du trek.

J’ai commencé à sortir l’appareil photos pour prendre le ciel jusqu’à ce qu’un Argentin me rejoigne et me parle de l’ISO haut pour améliorer la luminosité des clichés. Même si cela augmentait un peu le bruit des photos, c’était véritablement le premier jour du reste de ma vie pour mes modestes photographies de nuit !

Dans la nuit, un chien s’est invité dans la tente et je l’ai retrouvé le lendemain collé contre la toile. Lui aussi impatient de découvrir le trek, nous avons commencé ensemble. Le canyon de Colca a une profondeur de trois mille quatre cents mètres et a longtemps été considéré comme le plus profond au monde, avant que celui voisin de Cotahuasi ne le détrône.

Comme beaucoup de merveilles de la nature, ce trek était gardé mais un passage très matinal pouvait suffire à s’exempter du droit d’entrée. Levés très tôt, nous avons donc attaqué notre chemin, avec l’aube sur une des pointes de l’autre rive du canyon.

L’environnement était très graphique, pittoresque et très sec. Le jaune paille des herbes collaborait avec le bleu azur du ciel, tandis que les pentes descendaient inexorablement pour rejoindre la rivière Colca.

Le chien était toujours là, et le garde était, lui, déjà là. Dans un accord qui ressemblait beaucoup à du détournement de mes soles, il m’a fait payer le prix accordé aux résidents sud-américains, inférieur, sans toutefois me donner de reçu. Les premières vues de la descente qui s’annonçait étaient impressionnantes.

La descente s’est faite au gré des cactus, de la poussière et d’un soleil relativement écrasant. Le chien ne s’y trompait pas, puisqu’il se mettait à l’ombre à chaque opportunité offerte par un renfoncement dans la paroi. Arrivé plus de mille cent mètres en dessous, en quelques rares endroits, la rivière faisait apparaitre quelques fumeroles.

De là, il ne me restait plus beaucoup de trajet pour arriver à Llahuar, lieu-dit qui n’offrait que de sommaires infrastructures pour le ravitaillement, mais de solides fondations pour se délasser. Une fois la tente installée et le déjeuner absorbé, j’ai sauté dans les piscines d’eaux thermales pour n’en sortir que trois heures et demie plus tard.

Couché à vingt-et-une heures, j’ai pu me lever assez tôt, petit-déjeuner et partir avant que l’encaissement de la rivière ne devienne une véritable fournaise. Mon compagnon ayant décidé de faire trek à part pour jouer avec un autre chien, j’ai repris la route en solo.

On pouvait très bien repérer la piste qui cisaillait le flanc de la montagne et joignait entre eux les villages éparpillés. C’est ce même chemin que j’allais prendre avec un certain nombre d’autres Français que j’ai croisés, comme Vincent et Victor, sympathiques lurons habitant à Nouméa et que j’aurai l’occasion de revoir plus tard.

Il a fallu remonter un peu de dénivelé et passer au-dessus de l’oasis de Sangalle, qui portait bien son nom. L’impression de grandeur était totale. Quelques micro-cultures en terrasse tentaient de donner le nécessaire aux habitants. Pour le reste, un camion avait le rôle de magasin ambulant. Quelques briques d’adobe séchaient par ailleurs.

Après être passé devant un restaurant où le cochon d’Inde était la spécialité, j’ai pris le chemin redescendant jusqu’à San Juan de Chuccho, surplombé par une impressionnante façade de pierre striée. Une fête de village ainsi qu’un tournoi de foot animaient les lieux et rassemblaient petits et grands des villages environnants autour du stade de terre.

La journée s’est terminée à l’auberge, où j’ai découvert le jeu de Yaniv avec Pierre, après avoir mangé. Le lever le lendemain fut très matinal, et pour cause : même si j’avais un ticket, je n’étais pas pour autant un sud-américain. Pour éviter le garde et toute contestation potentielle, j’ai donc commencé ma remontée à cinq heures trente.

Mille cent mètres plus haut, en milieu de matinée, je retrouvais donc de la hauteur et un regard différent sur ce que je venais d’accomplir. Depuis l’un des nombreux miradors, je pouvais quasiment suivre mon trajet, de visu.

Plein d’envie, je suis arrivé à Cabanaconde à neuf heures mais j’ai dû me résoudre à l’absence de bus. Je ne savais pas si et quand il y en aurait un repartant pour Arequipa, mais la patience serait ma meilleure alliée.

Là aussi, une animation avait lieu, avec la fiesta del campesino sur la place centrale. Des femmes relativement âgées rivalisaient de dextérité pour tisser des longueurs d’aguayo, le tissu traditionnel andin.

Puis ce fut le moment des discours des représentants du village et de la région, valorisant l’apport du tourisme et les retombées économiques que les lieux en tiraient. Les habitants écoutaient religieusement.

En repartant, nous sommes repassés devant la Cruz del Condor, où j’ai choisi de ne pas m’arrêter malgré l’intérêt que revêtait l’endroit. Les condors appréciaient particulièrement l’endroit, où ils pouvaient prendre des courants ascendants depuis le canyon et voler pendant de longs instants.

C’était donc un fabuleux endroit pour tenter de les observer, ce que je n’avais pas encore réussi à faire pendant ce périple. Je misais sur une prochaine fois. Pour l’heure, il s’agissait de rentrer très rapidement à l’auberge pour une grosse douche et refaire le paquetage, avant de retourner à la gare routière et prendre le bus pour ma prochaine destination.