Ambiance musicale : X – Nicky Jam & J Balvin

De retour des montagnes, je me disais qu’il serait amusant d’aller visiter une toute autre facette de la Bolivie plurinationale. Et avec Rurrenabaque, je tenais là un solide exemple. Dans le département du Beni, à deux cent soixante-quatorze mètres d’altitude, se trouvait cette petite ville aux portes de la pampa amazonienne.

Jusqu’à présent, lors de mon voyage, je n’avais pas hésité à jouer la carte du contraste et j’allais encore une fois être servi. Avant cela, un très long trajet nocturne m’attendait. Je connaissais déjà le tronçon jusqu’à Coroico, en plein Yungas humide et verdoyant, mais la suite réservait de petites surprises.

Nous avons en effet parcouru quelques passages très étroits, en bordure directe avec un gouffre dont nous ne voyions pas le fond, et certains n’ont pu s’empêcher de lâcher quelques cris quand le bus venait à faire un mouvement latéral, du fait d’un nid de poule plus creusé que le précédent.

Arrivé de nuit, mon but était cependant de partir directement avec l’une des agences de la ville. J’ai donc posé mes affaires dans une auberge avant d’aller voir ce qu’il était possible de faire, tant en option de découverte qu’en négociation.

L’environnement était complètement différent du reste de la Bolivie que j’avais visitée. Malgré le soleil tout juste levant, il faisait déjà chaud et humide. Les personnes étaient habillées en conséquence et arboraient un visage avec des traits moins durs, plus brésiliens. Ils paraissaient plus chaleureux et affichaient facilement un sourire.

Une base navale de la Marine Bolivienne se trouvait sur le fleuve Beni. Suite à quelques tractations, j’ai réussi à trouver la solution qu’il me fallait en me greffant à un groupe. Nous nous sommes donc engagés sur la longue piste poussiéreuse jusqu’à Santa Rosa de Yacuma, pendant laquelle nous avons aperçu quelques cigognes et des capybaras, les plus gros rongeurs au monde.

Après le déjeuner, nous avons rejoint l’embarcadère puis sommes partis pour quelques heures sur la rivière Yacuma. Dès cet instant, nous avons pu voir une première fois les dauphins roses, cette espèce endémique de l’Amérique du Sud déclarée trésor national de Bolivie. Nous commencions directement par la cerise.

Avec notre bateau à moteur, nous sommes allés de rive en rive, à la rencontre de la faune présente. De nombreux oiseaux peuplaient les lieux, perchés tout en haut des arbres ou résidant dans les marécages. Il y avait des cigognes, des hérons, des vautours noirs.

L’un d’entre eux a particulièrement attiré mon attention : l’hoazin huppé. Tout droit sorti d’une série médiéval-fantastique, tel un marcheur blanc, il était reconnaissable entre mille, avec sa crête ébouriffée, ses yeux rouges cernés de peau bleue et ses cris rauques très bruyants. Il est aussi l’oiseau le plus ancien encore vivant, avec dix-huit millions d’années d’existence.

Pour plus de frissons, il fallait regarder le bord de la rivière, là où des souches ou des feuillages dissimulaient de nombreux caïmans yacare, toujours bien fondus dans le décor. Quelques tortues tartaruga, plus grandes tortues d’Amérique du Sud, faisaient aussi trempette.

Nous avons aussi fait la connaissance de sympathiques singes à la tête noire, aux membres jaunes et au corps blanc. Nous n’étions certainement pas les premiers à venir les rencontrer, puisqu’ils n’ont eu aucune crainte à se jeter sur le bateau et les bananes que nous leur proposions.

A notre arrivée sur le lieu d’hébergement, nous avons découvert un ensemble sur pilotis, rassurant par rapport aux reptiles. Les filets se faisaient de la concurrence, que ce soient ceux des hamacs ou des moustiquaires. Ces dernières allaient être fortement appréciées, les moustiques étant affamés.

Alors que nous bénéficiions d’un coucher de soleil magnifique, ceux-ci en profitaient pour nous attaquer en bandes, et parvenaient même à traverser les couches de vêtements. On voulait nous reprendre ce moment graphiquement parfait…

Sur la voie du retour, nous avons croisé quelques yeux de caïmans dans le noir, réfléchissant parfaitement la lumière de nos lampes frontales. Un autre caïman, à museau large celui-ci, nous attendait au camp. Cette bête paraissait énorme et nous rappelait qu’il ne fallait pas imaginer aller jouer dans l’eau.

Après le repas, je me suis couché tôt, abattu par le manque de sommeil et cet environnement humide. Le sommeil fut profond malgré l’abondance des sons de la jungle, puissants et intimidants.

La première attraction du matin a consisté à nourrir la bêbête aperçue la veille au soir, et la tension était palpable sur le camp. Le guide semblait tout de même savoir ce qu’il faisait. J’avais lu que les caïmans étaient beaucoup moins agressifs que les crocodiles et j’espérais que celui-ci n’allait pas faire mentir mon Lonely Planet.

Nous avons ensuite enfilé des bottes pour partir à la recherche des anacondas, serpents constricteurs non venimeux qui ont une réputation de mangeurs d’hommes. Nous n‘étions pas prêts à tout pour en voir mais nous avons quand même eu la chance d’en voir un relativement petit.

Une sieste dans un hamac plus tard, nous sommes allés jusqu’à un endroit relativement dégagé, tel un bassin, avec moins de courant. En apercevant un dauphin au loin, notre guide nous a invités à nous baigner, sans crainte. Il nous a expliqué que les animaux de la jungle étaient très territoriaux et que la présence des uns validait l’absence des autres.

Alors que l’eau était très trouble, nous avons fait acte de foi et sauté de la barque. Certains ont préféré « garder les affaires ». On ne voyait pas au bout de notre bras, dans l’eau, nous étions partagés entre stress et excitation.

Nous avons enfin repris le bateau pour aller tenter notre chance à la pêche aux piranhas, avec nos quelques fils de fortune. Manifestement, nous n’avions pas la bonne technique puisque nous n’en avons ramené aucun et que tous nos appâts finissaient dévorés malgré tout. Heureusement, notre guide ne comptait pas sur nous pour nous nourrir.

La soirée s’est terminée dans les hamacs avec bières, billard et reggaeton à outrance, ce qui altéra quelque peu l’expérience. C’était pour moi une chance de découvrir ce milieu, de pouvoir le voir, l’entendre et le sentir.

Une première fois dans la jungle est forcément exceptionnelle, et j’en venais presque à regretter d’avoir privilégié cette option, plus sûre pour pouvoir observer des animaux et donc plus courue. En même temps, j’étais très heureux de les avoir vus.

Le lendemain, la pluie et la flemme eurent raison d’une partie de l’équipage. Notre tentative de détecter des paresseux fut un échec, ceux-ci n’étant pas ceux qu’on croyait, mais l’essai valut le coup malgré tout. Les singes de l’avant-veille avaient aujourd’hui le pelage mouillé, comme s’ils s’étaient coiffés avec du gel.

Nous sommes donc rentrés une dernière fois au camp, avons plié les affaires et mis le cap sur le retour. Finalement, ce tour avait tenu beaucoup de promesses. J’ai même croisé Antoine, rencontré à Potosi, qui se lançait dans l’excursion. On s’est alors donné rendez-vous pour plus tard, probablement au Pérou.

Après toute cette pluie, la route était en sale état mais nous roulions à toute allure : le soleil était revenu et le couple de notre groupe devait prendre son avion dans moins de deux heures. Le suspense nous tint en haleine jusqu’à « Rurre », comme l’appellent ses habitants, et la mission fut accomplie.

D’ailleurs, nous avons même rencontré des troupeaux de vaches et eu la possibilité de voir ces fameux paresseux à mi-chemin : la boucle était bouclée !