Ambiance musicale : Facing the sun (Original mix) – Fritz Kalkbrenner

Après cet intermède historique et le défi relevé de rejoindre Sucre, j’ai pris un long bus de nuit visant La Paz. J’ai été amusé d’observer que nous passions par Potosi, comme un retour en arrière dans le voyage. Le Cerro Rico dominait toujours la ville, bien entendu.

Bien que très confortable, ce bus fut aussi bien froid. Pour cause, perchés sur l’Altiplano, nous avions passé la nuit à plus de trois mille cinq cents mètres d’altitude et le réveil sans la chaleur du soleil manquait manifestement de calories.

La Paz est le siège du gouvernement du pays, où l’on retrouve le pouvoir exécutif et législatif. Située à plus de trois mille six cent cinquante mètres d’altitude, c’est la huitième ville de plus de cent mille habitants la plus haute du monde.

En venant ici, je voulais retrouver Jurjen, rencontré à Cochabamba. Nous avions dans l’idée de gravir le Huayna Potosi, un des sommets relativement proches qui culminaient à plus de six mille mètres d’altitude. Cela était apparemment possible, avec les services d’une agence, et nous voulions donc nous frotter à cet accomplissement qui nous paraissait extraordinaire.

Mais avant cela, nous voulions répéter nos gammes, tester un peu plus notre entente et nous entrainer à l’altitude et l’effort avec une autre épreuve. Nous avions entendu parler d’un trek de deux ou trois jours, ce qui coïncidait parfaitement avec l’emploi du temps plus serré de mon acolyte.

Nous nous sommes donc retrouvés à l’auberge et j’ai eu la surprise de voir également Pablo, rencontré à Potosi, qui travaillait au bar en échange du gîte, dans un de ces accords qu’affectionnaient beaucoup les Argentins rencontrés sur la route. Nous étions juste à côté de l’église San Francisco.

A peine arrivé, nous avons décidé d’aller visiter le marché d’El Alto, un des plus grands du pays, où il était possible de trouver quasiment tout, neuf ou d’occasion. Cette ville, dans la banlieue ouest de La Paz, se situe à quatre mille cent cinquante mètres d’altitude et remporte ainsi le classement des grandes villes les plus hautes du monde.

Dans les faits, les deux villes forment une grande agglomération et sont reliées par plusieurs lignes d’un téléphérique urbain. Cela nous arrangeait bien, car même si nous étions relativement bien acclimatés du fait de notre parcours précédent, chaque excès d’enthousiasme dans une montée de rue se voyait douché par un souffle coupé. C’est toute la ville qui était sous forme de cuvette.

Au-dessus, les collines étaient recouvertes de maisons toutes en briques rouges, plus ou moins finies, soit par manque de ressources soit comme astuce pour payer moins d’impôts, m’avait-on raconté. Derrière l’une des lignes suspendues, le Nevado Illimani dévoilait toute sa majesté, surveillant la ville du haut de ses six mille quatre cent soixante-deux mètres.

Nous nous sommes ensuite rendus à un spectacle de lucha libre, du catch mexicain, où les pratiquants n’étaient pas des hommes mais des cholitas, ces femmes originaires de la campagne qui avaient immigré dans les grandes villes de l’Altiplano durant le siècle dernier et lutté, au sens figuré, pour leurs droits parmi la société.

Je ne tenais vraiment pas à y aller, m’attendant à quelque chose monté de toutes pièces pour satisfaire l’imaginaire bizarre des touristes. Mais j’ai été rassuré de voir qu’il y avait plus de paceños que d’étrangers, et qu’ils prenaient goût à la chose, en jetant de l’eau, des popcorn et en affirmant ostensiblement leurs préférences. Passées les premières minutes un peu embarrassantes, les protagonistes ont finalement bien tenu l’affiche.

Après n’avoir gardé que le nécessaire pour trois jours d’autonomie, nous avons pris la route de La Cumbre, avec un colectivo puis un micro. Nous souhaitions nous engager sur le trek d’El Choro. Ce chemin précolombien permettait de traverser la Cordillera Real pour rejoindre le Yungas, passant de la montagne minérale et aride à la forêt subtropicale, verte et luxuriante. Le froid et sec puis le chaud et humide.

Une fois enregistrés dans le registre du parc national Cotapata, nous avons commencé à monter pour atteindre, au bout d’une heure, le sommet de notre expédition, Apacheta, à plus de quatre mille huit cent cinquante mètres.

Nous étions alors entourés de roche noire, assez peu accueillante. Depuis ici jusqu’à l’arrivée, c’étaient plus de trois mille deux cents mètres de dénivelé négatifs qui nous attendaient, à parcourir sur de larges pavés lisses, quand ceux-ci n’avaient pas été recouverts de mousse ou d’une autre végétation.

En dehors de la longueur de la marche, cela s’apparentait sur le papier à la randonnée la plus simple de notre vie, toute en descente. Nous avons quand même offert quelques feuilles de coca à la Pachamama, dans une cérémonie de notre confection, pour s’attirer les bonnes grâces. Des lamas nous encourageaient sur les côtés et des ruines d’habitations ont fait brièvement leur apparition.

Nous étions maintenant blottis dans la vallée et le village de Chucura nous tendait les mains (et la main, puisque la communauté percevait un petit droit de passage). Le professeur de l’école participait directement au cours d’éducation sportive, en rejoignant les enfants sur le terrain.

Parfois, le chemin était si propre qu’on l’aurait cru tondu. En revanche, les ponts rencontrés n’eurent pas ce niveau de finition, certains semblant relever d’un équilibre à tout le moins précaire.

Notre arrivée à Challapampa, à deux mille huit cent cinquante mètres, signa la fin de cette première journée riche en évolution. De façon très habile, les arbres avaient commencé à faire leur apparition. Etant donnée l’absence de toute lumière, le lit de la rivière fut propice à l’observation des étoiles, avant de tester la nuit à deux, dans ma petite tente Quechua.

Après un réveil matinal, nous avons découvert notre camping baigné de lumière, faisant une belle différence avec la veille. Il ne s’agissait pas d’une grande colonie mais seulement de quelques baraques fébriles. C’était assez difficile d’imaginer que la mamita vivait ici toute la saison, en autarcie.

Nous étions maintenant sur les flancs de la montagne. Nous sommes passés du gauche au droit à Choro, où un pont devait se trouver. Mais la dernière saison des pluies avait tellement gorgé le torrent d’eau qu’il avait disparu de la carte. Le débit avait considérablement baissé depuis cette époque mais restait préoccupant : nous avons donc traversé la rivière en sautant d’un rocher à l’autre.

La vallée toute plate avait maintenant disparu et laissé place à une géographie très escarpée, avec des parois se rejoignant dans un creux abyssal. Le paysage s’était transformé, donnant à voir un fouillis de fougères, de fleurs, de feuilles et d’arbres.

Des cascades semblaient sortir de nulle part. On pouvait sentir l’humidité monter à mesure que nous descendions. Les nuages avaient bouché le ciel. En fin de journée, nous avons finalement atteint Bella Vista, qui n’avait pas usurpé son nom.

Pendant les étirements réglementaires, nous contemplions la carte postale qui s’offrait à nous. Les palmes de bananiers côtoyaient les pics acérés, encore éclairés pour quelques minutes. David, qui faisait la randonnée en solitaire s’est joint à nous pour partager une bière.

En ce troisième et dernier jour, le soleil n’a pas vraiment voulu se montrer. La brume se liquéfiait et le passage du chemin devenait de plus en plus fin, la végétation débordant de vitalité. La densité de la forêt subtropicale empêchait toute vue sur la vallée.

Nous sommes finalement arrivés à Chairo, à mille six cents mètres d’altitude, où l’aventure de ce trek prenait fin. Un colectivo pouvait nous emmener à Coroico, à condition d’être plein ou d’en payer les places vides. Sachant que du monde allait arriver derrière nous, nous avons confortablement attendu au seul magasin-bar-terrasse du lieu-dit, en buvant frais.

Nous n’étions pas pressés de rentrer à La Paz et nous en avons donc profité pour passer la nuit ici. Notre bonne entente pouvait se lire et augurait de bonnes choses pour le futur. Après avoir trouvé notre hébergement et pris une douche salvatrice, nous nous sommes promenés dans la petite ville, surplombant le Yungas.

Cette région sert de transition entre le sec Altiplano et les basses terres humides, où les Andes rejoignent très progressivement le bassin amazonien. C’est aussi un lieu de culture privilégié, en premier lieu de la coca, mais aussi du café, du cacao et du tabac.

Le lendemain matin, avant de repartir, nous ne pouvions pas manquer l’attraction de la journée, avec un casting de X Factor Bolivia, en plein air et en public, dans le complexe sportif. Peut-être qu’une révélation allait avoir lieu et changer le destin d’un de ces jeunes…

« Chicas, chicos, mayores, Factor Equis te espera… a las nueve de la mañana en la polifuncional de Coroico ! »