Ambiance musicale : Vivir mi vida (version pop) – Marc Anthony
De retour à Vallegrande à la suite de notre excursion historique, j’ai essayé d’articuler mon déplacement jusqu’à Sucre, ville nouvellement ouverte. Christoph a pris la route de Santa Cruz de la Sierra pendant que je me frottais à une autre réalité : le bus ne serait pas direct.
Si j’avais bien compris, il fallait que je retourne à Mataral, situé sur le bon axe routier, et que j’arrête un des bus qui devaient passer dans la soirée. J’étais en solitaire et ce plan n’avait rien de garanti, mais il avait le charme des choses jamais tentées auparavant. J’avais toujours ma tente au cas où les choses n’évoluent pas comme anticipées.
Finalement, après quelques heures d’attente dont une dans la nuit noire, un bus a bien voulu passer. Il paraissait en pauvre état et l’assistant du chauffeur m’a demandé le paiement du trajet complet, mais je ne savais pas si j’aurais d’autres opportunités. J’ai donc grimpé dedans et passé un bout de nuit mémorable, entre la route toute en nids de poule et le froid glacial dans la cabine, des fenêtres étant cassées.
Arrivé en fin de nuit au terminal, j’ai tout de suite été pris d’assaut par de nombreux rabatteurs, que j’ai éconduit avant de prendre une boisson chaude pour revenir à la vie. D’ordinaire, je fuyais systématiquement ces recruteurs puisqu’ils comptaient sur notre manque d’informations et notre fatigue pour accepter leur première offre, loin d’être la meilleure.
Mais dans ce cas, j’ai compris qu’ils étaient doublement motivés pour avoir des hôtes : le blocage d’une quinzaine de jours avait causé un grand préjudice aux commerçants, la plupart des touristes préférant reporter ou simplement annuler leur visite. J’ai donc cédé à l’une des personnes qui paraissaient plus fiables, à raison.
Capitale du département de Chuquisaca, Sucre est la capitale constitutionnelle de Bolivie et héberge à ce titre la Cour suprême du pays. En revanche, les pouvoirs exécutif et législatif siègent à La Paz. Perchée à deux mille sept cent quatre-vingts mètres, c’est une ville historique très importante, siège de l’aristocratie coloniale espagnole et j’allais avoir l’occasion d’en apprendre plus à ce sujet.
En commençant ma promenade, j’ai d’abord été frappé de la blancheur des lieux et de la propreté relative dans les ruelles. Je n’avais pas parcouru les villes boliviennes les plus cossues jusqu’à présent et celle-ci dégageait un sentiment de richesse et de fierté. Elle est d’ailleurs inscrite au Patrimoine Culturel de l’Humanité de l’UNESCO depuis 1991.
Un grand nombre de façades avaient été blanchies à la chaux et le palais du gouvernement du département, ancien palais du gouvernement national, était du plus bel effet. Quelques Coccinelles paradaient, certaines étant même étonnamment bien conservées.
J’avais aussi retrouvé le type andin que j’avais commencé à apercevoir. Dans la rue, les costumes traditionnels côtoyaient des tenues beaucoup plus modernes. Le marché était immense, couvert par endroits, et regroupait toutes les marchandises par quartier.
Il y avait ainsi le coin des pommes de terre, des bouchers, des fruits, des œufs et j’en passe. Tout cela formait une véritable kyrielle de couleurs, de formes, de sons et d’odeurs. Alertée par la personne de mon auberge, je n’ai pas manqué de goûter au chorizo chuquisaqueño.
Je me suis ensuite rendu à la Casa de la Libertad, palais dans lequel fut signée la déclaration d’indépendance du Haut-Pérou, qui correspond maintenant à la Bolivie. Sucre ne s’est pas toujours appelée ainsi.
Jusqu’en 1536, elle s’appelait Charcas, puis la vice-royauté du Pérou l’a nommée La Plata. En 1776, sous la vice-royauté du Rio de la Plata, elle prit le nom de Chuquisaca avant d’être renommée en 1825 après l’un des maréchaux se battant pour l’indépendance : Antonio José de Sucre.
Pour administrer la vice-royauté du Pérou, huit grandes Audiences royales furent créées en Amérique, sur le modèle de celles espagnoles, comme tribunaux suprêmes de justice. La Real Audiencia de Charcas fut celle traitant des affaires boliviennes.
Ce n’est que plus tard que La Paz prit de l’importance dans l’histoire nationale, d’abord grâce à sa situation stratégique sur les routes coloniales puis en devenant, comme Chuquisaca, une intendance de la vice-royauté du Rio de la Plata.
Simon Bolivar, surnommé El Libertador, fut l’un des nombreux généraux à se battre pour l’indépendance des pays sud-américains, particulièrement de la Bolivie, du Pérou, de l’Equateur, de la Colombie, du Panama et du Venezuela. En hommage, son nom a été utilisé pour le pays et la monnaie.
Des indigènes participèrent aussi, comme en témoignaient leur place dans le salon des révolutionnaires.
Après cette pause culturelle, j’ai continué à me promener dans ces ruelles, décidément très agréables, jusqu’à atteindre la Recoleta et son mirador. S’il y avait un monastère et une église du même nom, c’était surtout pour avoir une vue dégagée sur la vallée et d’autres interactions avec les locaux que je suis monté.
Après avoir retrouvé Juan, Chilien rencontré à l’auberge, nous sommes allés manger à la cantine et j’ai opté pour une des autres spécialités, la pailita, mêlant riz, frites, œuf au plat et viande. Avec de l’énergie en telle quantité, nous allions pouvoir danser une bonne partie de la nuit au Kultur Berlin !
Le jour suivant, nous avons goûté un autre de ces délicieux jus concoctés au marché, avant de prendre un sandwich de enrollado, de la charcuterie. Puis j’ai poursuivi seul au musée d’ethnographie et de folklore, où des poupées étaient exposées.
Les alasitas, miniatures d’un produit désiré ou d’un rêve, sont achetées dans le but de les offrir au dieu aymara de l’abondance et ainsi de provoquer leur obtention en taille réelle.
Nous nous sommes rejoints au Parc Bolivar où une petite Tour Eiffel trônait, avant d’évoquer la situation paraguayenne sur laquelle Juan lisait un livre. De retour à la cantine, nous nous sommes encore amusés de voir la compétition que se livraient les doñas, à chaque fois que quelqu’un entrait. Celles-ci débitaient alors l’intégralité de leur menu en un temps record.
Je suis ensuite allé me promener au cimetière général, recommandé pour ses grandes sépultures. J’ai terminé mon tour au bar « Le p’tit Parisien », où j’espérais avoir un accès internet décent pour pouvoir déclarer mes revenus à la France, ce qui relevait de la blague puisque cela faisait plus d’un an que je voyageais.
A défaut d’avoir pu remplir ma tâche citoyenne, j’ai eu une discussion intéressante avec le tenancier français qui vivait ici depuis dix-neuf ans. Pro-Evo (Morales), il m’a expliqué que les blocages en Bolivie étaient très fréquents, que les derniers avaient duré quinze jours et qu’ils produisaient toujours beaucoup de dommage aux commerces locaux.
Leur récurrence venait de plusieurs raisons, dont les rivalités entre départements, Chuquisaca, andin, plus pauvre d’un côté et Santa Cruz, blanc, plus riche de l’autre. Incahuasi, un champ de gaz à gros potentiel était situé plutôt dans le deuxième, mais le premier département en demandait sa part.
Cela devait donc se régler devant les tribunaux. La route chaotique entre Santa Cruz et Sucre faisait aussi partie des revendications des locaux. J’avais vécu cette partie et pouvait attester de sa nécessité !
Mais malgré cela, j’étais très heureux d’avoir insisté pour venir dans cette ville. Après avoir repris mon sac et salué Juan, j’ai rejoint la gare routière à pied, le trafic étant encore bien congestionné.
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