Ambiance musicale : State of the heart – Brian Crain

En se levant ce matin-là, nous avons croisé les doigts. D’une part pour que l’auto-stop fonctionne, malgré la période avancée et le début de l’automne, et d’autre part pour que le beau temps nous accompagne dans cette entreprise, puisque c’est toujours plus agréable de tendre le pouce au sec, avec ces froides températures.

Dans nos espérances, nous n’avons été exaucés qu’à moitié : les deux heures d’attente se sont révélées inefficaces, chose nouvelle dans ma courte expérience sur le sujet, et c’est donc en bus que nous avons rejoint Puerto Rio Tranquilo.

Le village est connu à plus d’un titre, malgré son format plus que modeste. C’est d’ici qu’il est possible d’accéder à la Cathédrale et aux Chapelles de Marbre, sur le lac General Carrera (aussi nommé lac Buenos Aires du côté argentin) qui est le deuxième lac d’Amérique du Sud, après le lac Tititcaca.

L’abondance de sa faune et le décor naturel en font aussi une destination prisée pour les amateurs de pêche et de sports aquatiques. Et c’est ici que Douglas Tompkins a trouvé la mort dans un accident de kayak en décembre 2015. Cet entrepreneur américain, cofondateur des marques The North Face et Esprit, est très connu au Chili, particulièrement dans le sud.

Après avoir fait fortune, il s’est retiré en Amérique du Sud où il a acquis plus de huit cent mille hectares d’espace naturel pour les conserver, faisant de lui l’un des plus grands propriétaires terriens. La loi permet en effet des créer des réserves naturelles privées, ce qui avait commencé de me surprendre dans le parc des Torres del Paine, puisque des intérêts privés peuvent accaparer des merveilles naturelles et en limiter ensuite l’accès, ou en faire une manne touristique.

En agissant ainsi, sa femme et lui ont d’abord agité la suspicion et le ressentiment de la part des habitants de la région. Mais leur réelle volonté de réhabiliter et protéger ces espaces naturels, avant d’en faire don au Chili pour créer trois parcs nationaux, s’est avérée une belle contribution à la nation.


Aussitôt arrivés, nous nous sommes mis à la recherche d’un lieu pour passer la nuit, et après avoir sillonné les quatre rues en long et en large, nous nous sommes arrêtés sur la dépendance d’une maison, un petit chalet que nous avons eu pour nous tout seuls. Ce n’était pas la grande affluence, la meilleure saison était passée.

Le plus surprenant (et ce qui allait continuer d’être le cas sur le Chili et ensuite), c’est qu’il y avait ici des épiceries à tous les coins de rue, des minimarkets dont l’enseigne était sponsorisée par Coca-Cola, PF (marque de charcuterie locale) ou Cristal (marque de bière). Chacune ne vendait pas grand-chose mais survivait de sa petite activité.

Une fois notre billet acheté, nous avons pris place à bord d’une petite embarcation pour rejoindre ce qui nous avait attirés par ici. Ces formations géologiques ont été creusées au fil du temps par les eaux turquoise du lac, jusqu’à créer de petites cavernes dont le plafond austère ressemble à des voûtes d’église.

Comme souvent dans ce genre d’excursions, le pilote a mis en scène les lieux, en nous décrivant chaque ilot, chaque bloc, comme une forme animale, ou en nous racontant les histoires drôles associées. Nous n’avons donc pas échappé à la tête de chien, qui, en l’occurrence, était particulièrement ressemblante !

Le lendemain, nous avons pris le seul bus de la journée, sans même chercher à faire de l’auto-stop. Il y avait déjà un certain nombre de personnes le tentant, dont certaines déjà aperçues la veille. La route s’est révélée assez longue, du fait du revêtement très inégal de gravier, de pierres et des trous bouchés à la hâte.

Lors de l’arrêt près de la Réserve Nationale Cerro Castillo, la question de descendre ne s’est pas vraiment posée alors que ça avait été le sujet de discussions du jour d’avant. Il est possible d’y faire une superbe randonnée sur plusieurs jours, mais nous n’arrivions même pas à voir les environs, tant le ciel était bas et le temps, gris.

Arrivés à Coyhaique, c’est surtout la musique de l’auberge de jeunesse qui m’a interpelé, plus que la ville elle-même. Entre d’autres succès sud-américains, de nombreuses chansons de Manu Chao et de Zaz s’invitaient dans les enceintes, et j’ai alors appris que ces deux artistes jouissent d’une relative popularité outre-Atlantique.

Après avoir retrouvé une petite ville et un magasin dignes de ce nom, puis fait quelques courses, nous avons repris la route en bus. Et pour être sûrs que le trajet jusqu’à la Forêt enchantée se passe bien, j’ai dégusté mes deux premières empanadas, l’une frite au bœuf et l’autre cuite au four, au poulet et fromage. Ce petit délice, disponible dans de nombreux coins de rues, allait devenir un incontournable de mon alimentation chilienne.

La Forêt enchantée est un endroit qu’on avait recommandé à Benoit, lors de rencontres précédentes. Internet n’en faisait pas vraiment état, que ce soit dans des guides ou des blogs, et nous pensions donc avoir trouvé un coin « secret » à visiter, loin de ce que tout le monde peut aller voir lors qu’il est en vacances, ce qui est un peu la recherche constante (mais compliquée) des routards que nous étions.

Nous avons demandé au chauffeur de nous arrêter au bord de la route, quand nous serions à l’emplacement exact, un peu à sa surprise. Une fois le bus reparti, sous la pluie, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose, si ce n’est une petite cabane, un chemin qui partait à côté, mais surtout une barrière qui en interdisait l’accès…

Quitte à être là, et après avoir vu une rare voiture s’arrêter et prendre les devants, nous avons nous aussi franchi la barrière pour nous lancer dans un univers qui se devait d’être luxuriant. Ce fut le cas, mais après trois cents mètres, nous sommes tombés sur la fin précoce du chemin, ce dernier nécessitant des travaux pour enjamber la rivière.

Nous venions d’apprendre à nos dépens que les Chiliens rencontrés aimaient leur pays, leur région, peut-être avec une pointe de chauvinisme, et avaient du mal à classer les lieux à visiter par ordre d’intérêt et de pertinence. Tous méritaient d’être vus !

En nous arrêtant ici, nous nous étions mis dans une situation inconfortable : à quarante kilomètres du premier hameau, avec peu de trafic, la pluie et nos ponchos vissés sur la tête, nous n’étions pas très attirants pour se faire ramasser. C’était pourtant la seule solution.

Après avoir croisé les doigts pendant un bon moment, Victor s’est finalement arrêté avec son camion. Habitué des longs trajets sur la Carretera Austral pour réalimenter les magasins des quelques villes et villages, il ramassait régulièrement des voyageurs. Notre sauveur allait à Puyuhuapi, où nous pourrions trouver un hébergement : nous nous sommes donc laissé porter.

La météo, qui n’était pas forcément évidente, était apparemment un classique de cette région. En dehors de l’été, les précipitations étaient nombreuses et la saison n’était donc plus très propice à l’exploration. Sur le chemin, nous avons croisé de nombreux « ponts sans nom ».

Bien aidés par notre nouvel assistant, l’application iOverlander, nous avons trouvé notre camping pour la nuit. Comme le précédent, ce fut surtout un toit accolé à une maison, où la famille mettait à disposition une sorte de cuisine et quelques sanitaires, couverts mais pratiquement aux quatre vents. En tant que tel, je trouvais le concept extrêmement simple mais génial. Toutes les tentes étaient collées pour maximiser l’espace.

Le lendemain, le bus devant passer relativement tard, nous nous sommes installés à l’arrêt, tout en caressant l’espoir d’être ramassés avant. Un couple est venu, a tenté sa chance aussi, avant de se décourager et de repartir au village. Il faut dire que le trafic était quasiment nul, hormis quelques travailleurs qui sortaient juste de la zone avant d’y revenir une fois leur tâche terminée.

Après trois heures d’essai, nous n’avons pas pu refuser le car. Dans un premier temps jusqu’à La Junta (pour voir ce à quoi ressemblait ce village), nous avons ensuite changé de véhicule et continué jusqu’à Villa Santa Lucia, où Benoit allait prendre la tangente en direction de Futaleufu, endroit réputé pour la pratique du rafting sur des cours d’eau mondialement reconnus. Il n’y avait pas de bus quotidiens et la décision de continuer devait donc se prendre rapidement.

Après avoir salué mon camarade, j’ai repris mon baluchon pour un court instant, avant de voir ce qu’il était possible de faire ici.