Ambiance musicale : Ahora me llama – Karol G & Bad Bunny

A peine arrivé à Villa Santa Lucia, je me suis retrouvé confronté à ce dont j’avais entendu parler ces derniers jours : le village de trois cents habitants avait été victime d’une coulée de boue meurtrière mi-décembre, suite à des pluies torrentielles, et la Carretera Austral, qui avait été fortement endommagée, était maintenant remise en service sur une voie, en alternance.

Trois mois après la catastrophe, les séquelles étaient toujours bien visibles, les camions faisaient des va-et-vient pour emmener la terre charriée et la population paraissait traumatisée. Il n’y avait plus de services destinés aux gens de passage, mais seulement quelques maisons encore debout et des tentes de secours et d’organisation du déblayage.

Le prochain bus allait passer le surlendemain et il n’était pas possible de traverser le champ de terre à pied. L’auto-stop s’imposait donc de nouveau et le feu de circulation allait grandement m’aider dans cette entreprise.

Une voiture à quatre roues motrices s’est arrêtée avec, à son bord, Nicol et Pablo. Les deux amis étaient originaires de Coyhaique et profitaient de leurs vacances pour découvrir du pays. Après avoir chargé mon sac à dos, deux autres voyageurs ont demandé s’il était aussi possible qu’ils montent et nous nous sommes retrouvés à cinq, quatre Chiliens (dont Leonardo DiChileno) et un Français en direction du Nord…

Rapidement, les conversations ont fusé, mais entre le bruit de la voiture, la musique très forte et leur espagnol chilien, connu pour comprendre beaucoup de termes spécifiques, et être parlé à grande vitesse et sans trop d’articulation, je me suis vite retrouvé spectateur des échanges. Durant les premiers kilomètres, les bords de la route laissaient entrevoir les dégâts.

Arrivés à Chaitén, un dilemme s’est présenté, dans le sens où je pensais rejoindre l’île de Chiloé alors que mes camarades continuaient au Nord. Pour autant, je ne savais pas vraiment quels étaient leurs plans et il fallait se décider ici. Le reste de la route comprenant des parties sur route et d’autres en ferry (la Ruta Bimodal), il fallait acheter les tickets, ici, maintenant.

Comme je ne voulais pas les faire attendre et qu’ils étaient assez dubitatifs sur le sud de l’ile de Chiloé, j’ai finalement pris mes billets et nous avons repris de plus belle. Je pourrais toujours y accéder plus tard, si je le désirais.

La carte de mon GPS ne m’indiquait pas grand-chose à Caleta Gonzalo, si ce n’est l’embarcadère, mais pour parer au pire, j’avais la tente et quelques vivres : il n’y avait donc pas de nécessité de s’inquiéter outre mesure.

La piste s’est avérée assez longue et nous avons fini de nuit. Il n’en fallait pas plus : nous avons découvert à l’arrivée que la roue arrière-gauche était prête à sortir de son axe. Nous avions perdu un écrou et les trois autres venaient de tomber au sol !

Après avoir bricolé une réparation de fortune, nous avons partagé un dîner sous l’abri de bus, chacun mettant au milieu ce qu’il avait dans sa besace, surtout les auto-stoppeurs. Ce fut donc soupe et quelques pâtes, avec de petites portions, personne n’ayant prévu pour cinq mais chacun se suffisant de cela.

Nous avons ensuite passé la nuit dans la voiture, plus à l’abri du vent et de la pluie, et en se serrant. Cette rapide mise en commun des ressources m’a surpris, puisqu’on ne se connaissait que depuis quelques heures, mais cela paraissait au final assez naturel.

Le lendemain, le programme n’était pas vraiment rempli, si ce n’est attendre le ferry et bavarder. La journée a commencé avec une soupe relevée au merkén, un piment séché, fumé et moulu. Autre particularité de l’espagnol chilien, on ne parle pas de soupe, mais de petite soupe (sopita), on ne parle pas d’eau mais de petite eau (aguita). Le diminutif était partout et pour tous les sujets.

Plus tard, en associant un peu de farine, de sel, de levure et d’eau, et un peu d’huile au fond de la microscopique poêle de popote, les deux étudiants de Concepción nous ont concocté une espèce de pâte à pain (ou à pizza), en guise d’apéritif. J’ai bien cru que nous allions manger des escargots quand Nicol s’est mise à en ramasser près de l’eau, mais elle les a gardés pour plus tard. J’en profitai alors pour tordre le cou à un puissant cliché : il n’y avait pas que les Français qui les mangeaient !

Le premier ferry nous a emmenés de Caleta Gonzalo à Caleta Fiordo Largo, avec juste le temps de se réchauffer en cabine. L’air était sacrément vif dehors. Sur le pont, j’ai appris des concepts comme celui de la pata negra chilena (l’adultère) ou le sens de mots que j’entendais en permanence mais que je n’arrivais pas à traduire (harto, igual, …)

De retour sur la piste, nous avions dix kilomètres à parcourir avant d’atteindre Leptepu, prochaine rampe d’embarquement, mais ils furent agités : la roue demandait toujours une attention particulière et donnait lieu à des arrêts de vérification et resserrage tous les deux kilomètres. Puis nous avons embarqué sur le deuxième ferry, en plein fjord Comau.

Comme à l’accoutumée, dans ma petite expérience de cet habitat, le ciel était bas et ne laissait pas bien apprécier la beauté du paysage. Les nuages restaient accrochés aux sommets. Quelques installations pratiquaient la pêche, et les pélicans et autres mouettes attendaient leur part du butin.

A notre arrivée à Hornopiren, il était clair que nous devions trouver un mécanicien pour réparer la roue. Mais il était dix-huit heures, un dimanche soir, et nous avons rejoint un petit camping non officiel connu des deux étudiants.

Ils étaient venus deux ans auparavant et connaissaient un endroit, sans toit cette fois, mais qui nous laisserait profiter des installations contre quelques pesos. Nous avons retrouvé un peu de civilisation dans cette petite ville paisible, avec de vieux bus scolaires nord-américains, des épiceries sponsorisées et de la vie dans les rues. Le contraste était saisissant, avec les endroits particulièrement reculés, isolés, que nous avions traversés ces derniers jours.

Après quelques courses, nous avons concocté une soupe de porotos (haricots), puis bu du vin rouge avec des fraises, en l’honneur de Nicol dont c’était l’anniversaire.

Le lendemain matin, chacun a commencé à replier ses affaires, plutôt humides, avant de trainer pendant que Pablo gérait la voiture. J’ai pensé qu’on allait repartir aussitôt la voiture réparée, mais non. Tout le monde s’était concentré à l’intérieur, chez ces gens, pour discuter, boire quelque chose de chaud, faire sécher des affaires ou même déplier la tente de nouveau.

J’étais un peu décontenancé car je ne savais pas trop ce qu’on attendait, et je pensais qu’on dérangeait en restant là. Mon cerveau rationnel d’occidental disait de reprendre la route, de continuer le périple, d’être quelque peu « efficace ».

La réalité est que tout cela se passait en totale détente. Les gens étaient contents d’avoir du passage, le temps était pluvieux et n’ouvrait pas la porte à de grandes activités, le stress était inexistant, seul le moment comptait. C’était une vraie leçon, une antithèse de la vie citadine occidentale et cela posait des questions sur le rythme de notre société.

Depuis que j’étais arrivé dans le sud du Chili, je n’avais jamais vu une seule personne s’énerver, klaxonner, en invectiver une autre. Je trouvais cette sérénité inégalée. Même les chiens qui se promenaient partout avaient adopté l’attitude !

La chaleur et l’amabilité des gens du sud, tant louée, était une belle évidence. Alors que les Australiens et les Néo-Zélandais se targuaient du monopôle du « no worries », les gens ici ne le répétaient pas à l’envi mais le vivaient. C’était en tout cas mon analyse.

Après avoir salué les propriétaires avec une bise, nous avons finalement remis le cap sur Puerto Montt, toujours en faisant le plein de tubes sud-américains à tue-tête, commerciaux, essentiellement du reggaeton avec le même rythme d’une chanson à l’autre, où les paroles étaient extrêmement légères.

Nous vivions nos dernières heures ensemble, alternant encore et toujours entre piste et route goudronnée. Une fois le troisième ferry passé, entre Caleta Puelche et Caleta La Arena, nous avons rapidement rejoint la capitale de la région des Lacs, la dixième région.

Après une belle aventure créée de toutes pièces, nous nous sommes tous séparés, les étudiants rentrant pour la reprise des cours et Nicol et Pablo voulant visiter la ville. Je n’avais pas eu de très bons échos de Puerto Montt, aussi j’ai décidé de ne pas y rester, attiré par les sirènes de Chiloé…