Ambiance musicale : Om mani padme hum

Il existe des endroits mythiques et il est très clair que Dharamsala en est un. Il signifie « le lieu d’accueil et de repos des pèlerins et de ceux qui en ont besoin ». Difficile d’imaginer une meilleure correspondance pour accueillir Sa Sainteté le XIVème Dalaï-Lama et le gouvernement du Tibet en exil.

Attiré par l’éventualité d’une rencontre et par le cadre montagneux tout autour, je me suis naturellement dirigé vers la localité. Et comme nous formions une très belle équipe, c’est avec Yorán et Shabo que nous y sommes arrivés en bus de nuit.

C’est donc ici en Inde du Nord que la fuite du haut dignitaire religieux a pris fin en 1960 et qu’il a reçu l’asile. Dix ans plus tôt, alors que le Tibet était de facto un pays indépendant, la Chine de Mao Zedong l’a envahi et conquis. La population a résisté contre cette occupation pendant des années, menant finalement à des soulèvements à Lhassa.

En 1959, au vu de la sévère répression et des coups de feu tirés dans la capitale contre le palais du Norbulingka, la vie et la liberté du représentant étaient en jeu et la fuite inévitable, à travers l’Himalaya.

Cette occupation a entrainé la perte d’un bout considérable de l’héritage culturel du Tibet et de graves atteintes aux droits humains fondamentaux. Depuis 1950, ce pourrait être jusqu’à un million de personnes qui auraient été tuées. Plus de cent trente mille Tibétains vivraient aujourd’hui en Inde, une grande partie ayant tenté la dangereuse traversée et cherché le réconfort de sa communauté ici en premier.

Paradoxalement, j’ai commencé l’exploration du coin par une randonnée. Jamais deux sans trois. Me sentant en pleine forme avec le nombre important de globules rouges accumulé lors des précédents jours, je me suis lancé avec Yorán pour un bout du trek menant au col de l’Indrahar, juste au-dessus de nos têtes.

Le chemin nous a d’abord mené sur la colline de Triund, où de nombreuses tentes pouvaient accueillir temporairement les quelques Indiens en quête d’air pur. Pour nous, ce n’était qu’un point de passage et aussitôt le chai ingéré, nous avons repris le sentier, pour arriver à Snowline et commencer à tutoyer cette grande façade de cailloux, amas rocheux impressionnant malgré son aspect désordonné.

 

La tente plantée, il nous restait une bonne partie de l’après-midi pour continuer à monter, et pourquoi pas visiter la grotte de Lahesh qui se dressait sur la route. Les aigles dans le ciel tournoyaient au-dessus des bergers et de leurs troupeaux de moutons, comme un mauvais présage. La météo devenait moins clémente.

Malgré les efforts de notre joyeux camarade canin, intégré sur la route, nous n’avons pu trouver l’entrée de la cavité. Mais l’essentiel n’était pas là : nous avons continué notre raide ascension jusqu’à atteindre les deux mille mètres de dénivelé positif, à plus de trois mille huit cent cinquante mètres, pour le petit défi physique.

Nous nous sommes offert une pause dans un environnement profondément serein, quoi que rendu dramatique par l’invasion des nuages, les jambes détendues au-dessus du vide et les souvenirs fixés par l’écoute de quelques morceaux de musique appropriés.

 

Le temps, qui était déjà un facteur à l’importance réduite, a perdu toute sa signification. En revanche, la beauté du paysage a pris tout son sens au moment du coucher de soleil. Un riche repas et le traditionnel feu de camp ont conclu cette journée, loin de toute agitation mais en belle harmonie avec la nature.

 

Après une nuit très à l’étroit et l’accueil du soleil, synonyme de vie et de chaleur, avec un plaisir certain, nous avons quitté ces hauts lieux pour retrouver Shabo et la civilisation, à la suite d’un passage rapide aux chutes de Bhagsu. Mon tryptique de randonnées était clos !

 

Il était maintenant l’heure de donner toute sa place au sujet du Tibet.

Le Dalaï-Lama était présent dans la ville mais j’avais malheureusement manqué la conférence qu’il avait donnée quelques jours auparavant. J’allais donc devoir me concentrer sur d’autres éléments.

Cela a commencé par la visite du monastère de Tse Chok Ling, dans lequel j’avais remarqué qu’il était possible de séjourner. L’idée était alléchante, mais dans les faits, l’endroit ressemblait plus à un havre de paix pour s’adonner à la méditation qu’à un lieu d’échanges poussés avec ses résidents. J’allais donc rester dans mon auberge, sans regrets.

 

Le musée du Tibet a eu un gros impact sur ma compréhension de la situation et du niveau de souffrances que vit ce peuple oppressé. Quand on pense que la Chine justifia l’invasion par le fait qu’elle allait libérer ce peuple d’un système féodal et lui apporter les évolutions économiques et sociales indispensables, on ne peut que déplorer la réalité de la situation telle qu’elle est vécue actuellement.

Le système mis en place fait tout pour contrôler ce peuple, ses mouvements (avec les permis et les interdictions de sortie de territoire), sa religion (avec la volonté de désigner le successeur de Tenzin Gyatso ou de faire disparaitre la réincarnation du dixième Panchen-Lama), sa culture (avec les destructions qui ont eu lieu au moment de la Révolution Culturelle). En ce sens, l’asile offert par l’Inde, déjà unique au monde (héberger durablement un gouvernement légitime étranger n’a rien qui aille de soi), est encore plus louable.

 

Aujourd’hui, et depuis 2011, le Dalaï-Lama n’est plus le chef politique du gouvernement en exil et a veillé à une transition démocratique. Sa vision non-violente de résolution du conflit et sa persévérance, associés à tous ses enseignements philosophiques, font de lui un modèle mondial.

« Be kind whenever possible. It is always possible. »

“If you want others to be happy, practice compassion. If you want to be happy, practice compassion.”

 

J’ai poursuivi ma visite du complexe Tsuglagkhang dans une ambiance assez particulière, qu’elle soit très calme, au milieu des moulins de prière pleins de mantras d’Avalokiteshvara dans le temple, plus agitée, au milieu des moines s’adonnant à des joutes verbales et théâtrales sur des détails religieux très précis, ou pleine de respect, devant la résidence du maitre des lieux.

 

Les singes, qui semblaient avoir pris le contrôle de la ville par leur omniprésence et leurs acrobaties surprenantes, se balançaient également d’arbres en arbres sur le circuit de la kora, chemin que les pèlerins parcourent dans le sens des aiguilles d’une montre, au milieu des chortens et des moulins à prières. Un grand trombinoscope rendait hommage à la centaine de moines qui se sont immolés par le feu depuis 2009 au Tibet, marquant leur désespoir face à l’oppression.

 

L’avant-dernière soirée dans les lieux a été celle des adieux avec Yorán, celui-ci étant envoûté par les sirènes de Guwahati, tout à l’est de l’Inde, où des retrouvailles avec un ami et un safari en pleine nature, au milieu des rhinocéros, l’attendaient.

Une des pièces du puzzle s’en allait, et avec elle, l’extraordinaire complicité qui peut se créer en un peu moins de vingt jours de vie commune, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

 

J’ai décidé de dédier ma dernière journée aux spécialités du coin, à savoir la méditation et la religion bouddhiste tibétaine. Je n’avais pas prévu de m’engager sur une méditation silencieuse de dix jours, d’après le modèle Vipassana, malgré l’intérêt qu’elle pouvait susciter et les bienfaits que semblaient en retirer les participants, une fois libérés.

Une méditation guidée d’une heure allait suffire, dans un premier temps, pour m’ouvrir l’esprit sur le sujet, avoir un aperçu sur la concentration qu’elle peut permettre, à travers tout le travail sur la conscience, et me laisser dans un bel état de détente.

Quant aux sujets religieux, je me suis inscrit à une conférence sur les « Quatre noble vérités » tenue par Chamtrul Lobsang Gyatso Rinpoche, un « être précieux » et « bénéfique aux êtres sur la voie de l’éveil », d’après la traduction littérale de l’ultime mot de son titre. Les thèmes abordés correspondaient au premier enseignement délivré par Buddha, autour de la souffrance et ses vérités, ses origines, sa cessation et le chemin menant à cette dernière.

 

Contrairement à ce que j’imaginais, nous étions ici dans un cours magistral, respectueux à outrance du personnage et des enseignements. Ces derniers m’ont d’ailleurs paru assez ésotériques, très détaillés. Les prières au commencement et à la fin, récitées de façon assez catégorique et associées à une foi aveugle et manifeste dans les textes et les images m’ont quelque peu désarçonné.

Cette religion n’était donc pas différente des autres et je venais de réaliser que mon attrait pour celle-ci concernait plutôt sa philosophie profondément humaniste et bienveillante que ses croyances pleines de certitude, péremptoires.

 

Ce soir-là, c’était mon tour de saluer Shabo, que la spiritualité allait faire rester ici encore quelque temps. Quitte à m’écarter de cette fabuleuse région, c’est avec des chowmein (nouilles tibétaines), du fromage de yak et un « Hello to the queen » que nous avons célébré pour la dernière fois.

Est-il plus facile de voir partir que de partir soi-même ? Je ne suis pas certain de la réponse, mais j’allais à coup sûr ressasser tous ces moments passés ensemble dans les montagnes, empreints d’une simplicité totale et d’une belle envie de les partager, les rendant ainsi uniques.