Yogui autour du monde

Le Sud Lipez et le salar d’Uyuni, merveilles de la nature

Ambiance musicale : Ça fait rire les oiseaux – La Compagnie Créole

Ce matin-là, mon excitation était palpable. Certains lieux ou paysages peuvent être gravés dans la tête, on a pu en rêver, se dire qu’on « le fera un jour » et vivre sa vie en sachant que cela arrivera, sans être plus précis. Ce jour était arrivé pour moi, et j’en étais très heureux. Le Sud-Ouest bolivien, sans l’avoir complètement imaginé ou fantasmé, était un de ces lieux dont je tenais la liste.

Nous n’avions pas lésiné : nous partions de Tupiza pour un tour complet de quatre jours (au lieu de trois depuis Uyuni), avec une compagnie qui nous avait donné envie et confiance. Nous étions une belle troupe franco-argentine et le temps parfait était au rendez-vous, ensoleillé et sec.

C’est Vicente qui serait notre guide, notre chauffeur, notre homme à tout faire, au calme olympien, pour toute la durée du tour. Il chiquait des feuilles de coca comme un Américain boit du Coca-Cola. Nous n’étions pas les premiers touristes qu’il emmènerait dans les confins de la Bolivie désertique, ni les derniers.

Précédemment minier, il était guide depuis quatorze ans et connaissait toutes les pistes les yeux fermés. Cela en faisait un homme important du syndicat local. Son petit frère, lui, exerçait depuis Uyuni. Son véhicule à quatre roues motrices, c’était sa deuxième maison, et elle était gourmande.

Les pneus étaient changés tous les six mois, pour des raisons évidentes, et ce sont deux cent cinquante litres d’essence qui seraient nécessaires pour accomplir le tour. Il était hors de question de vouloir ou pouvoir se ravitailler en chemin : nous partions pour des contrées quasiment inhabitées, entre trois et cinq mille mètres d’altitude.

Nous sommes donc sortis de la ville et avons pris plein Ouest, par la piste, pour arriver jusqu’à El Sillar et ses quelques cactus. Ce canyon s’est formé avec le temps et ses flancs se sont fait balafrer par le vent et la pluie. Le jaune des montagnes contrastait avec la végétation verte de fin d’automne.

Notre piste traversait le paysage sans réelle cohérence. La terre devenait rouge, le vert entrevu précédemment s’estompait pour ne plus laisser que des montagnes pelées et quelques brins d’herbe. Nous prenions de l’altitude pour la perdre aussitôt derrière le prochain virage.

On nous avait recommandé de prendre des affaires chaudes et nous avions pris les instructions à la lettre. Cependant, ce gros soleil apportait toute la chaleur nécessaire, si ce n’est plus. Nous nous sommes ensuite arrêtés pour approcher un troupeau de lamas, domestiqués et élevés. Ils portaient de petits pompons sur les oreilles pour distinguer leur appartenance.

Puis ce sont des vigognes que nous avons aperçues, sauvages et qui ne se laissaient donc nullement approcher. Les vigognes sont aux alpagas ce que les guanacos sont aux lamas, c’est-à-dire leurs plus proches cousins jamais domestiqués. Les lamas et les alpagas sont élevés majoritairement sur la cordillère des Andes pour la fourrure et la viande qu’ils procurent. En revanche, bien que camélidés, ils ne peuvent être montés.

Nous avons aussi dépassé quelques villages miniers, le cuivre, le plomb et l’argent ayant été abondants dans le passé, avant de rejoindre notre lieu de déjeuner, la bien-nommée Ciudad del Encanto. Ses paysages lunaires frappaient par leur côté majestueux, tels de grandes cathédrales de roche ou les tuyaux d’orgues montant au ciel. Ces fausses termitières géantes ne paraissaient pas avoir de fin, une fois à l’intérieur.

Nous avons repris la route et Vicente nous a donné un petit cours de mastication de feuilles de coca pour mieux gérer les effets de l’altitude. Si Gaston avait quelques feuilles au fond d’un sac vert, il n’avait pas la pâte faite de cendres, de sucre et de goût menthe de notre chauffeur, la lejía. Je ne savais pas si l’effet serait là, mais je m’en remettais à la connaissance culturelle millénaire.

Les lamas et autres vigognes s’étaient maintenant démocratisées et il n’était plus rare d’en croiser près de la piste. Il était possible de voir très loin et des pointes enneigées faisaient leur apparition à l’horizon. Après avoir passé Río San Pablo, nous sommes arrivés à Pueblo Fantasma.

A l’époque coloniale, des indigènes quechuas y ont monté un campement minier. La légende veut que cette mine ait entraîné beaucoup de corruption, que les gens menaient une mala vida et travaillaient pour la richesse, donc le diable. On aurait finalement voulu écarter ce dernier, et il aurait transformé les mines en pierres et rochers inutiles.

Dieu aurait lui aussi puni le village, avec l’arrivée subite de la peste qui aurait tué tout le monde. Enfin, le diable devrait revenir mille ans plus tard et rendre aux mines leur capacité d’antan. En tout état de cause, ce village fantôme était aussi un magnifique décor de ruines dans lequel seule une viscache avait élu domicile, une espèce de gros lapin à longues moustache et queue.

Le temps passait et nous avons donc repris la route pour une heure. Arrivés à un col à quatre mille huit cent cinquante-cinq mètres d’altitude, soit au-dessus du Mont Blanc qui restait ma seule référence d’Européen occidental, nous avons fait une pause pour profiter des derniers rayons et de la luminosité exceptionnelle de ces instants ambrés.

Nous savions qu’après cela, et compte tenu de notre élévation, il ferait rapidement frais voire froid dans les environs. Pour autant, la sensation du point de vue panoramique sur l’Uturuncu, volcan de six mille huit mètres, et la lagune Morijon était au-delà des mots.

A mesure que nous avancions, la nuit a absorbé cette ligne d’horizon faite de pics et de grands espaces, sans pour autant l’effacer, un début de pleine lune essayant de relayer l’astre solaire. Au poste de contrôle de la SERNAP, nous avons payé notre entrée dans la réserve nationale de faune andine Eduardo Avaroa puis rejoint notre logement. Cette première journée avait déjà suffisamment apporté son lot de beautés.

Nous avons été accompagnés, pour notre départ la deuxième journée, par quelques nandous, cousins américains des autruches que j’avais déjà aperçus en Patagonie chilienne. En regardant attentivement, on pouvait deviner quelques coulées de lave au pied des volcans.

Après un bref arrêt à la Laguna Hedionda où nous pensions en voir les premiers spécimens, c’est à la Laguna Kollpa que nous avons rencontré les fameux flamants, et cela par centaines. Nullement dérangés par notre présence, ils poursuivaient leur repas et prenaient parfois leur envol pour rejoindre une autre extrémité du lac salé.

Qu’ils soient flamants de James, flamants du Chili ou flamants des Andes, ils étaient légèrement rosés, du fait de leur alimentation faite de crustacés riches en carotène, et se déplaçaient gracieusement, perchés sur leurs fines pattes.

Nous avons ensuite traversé de très grandes étendues plates, pendant lesquelles Vicente en a profité pour donner quelques explications sur la richesse et la répartition ethniques au sein de la Bolivie. Autour de nous, la majorité était quechua quand les Aymaras vivaient plus au Nord, vers la Paz et le lac Titicaca.

La révision constitutionnelle de 2009, sous l’impulsion d’Evo Morales, a permis de reconnaitre plus d’une trentaine de populations indigènes au sein de l’état plurinational et rendre officielles trente-sept langues, parmi lesquelles l’espagnol, le quechua, l’aymara et le guarani sont ultra majoritaires.

Nous sommes ensuite arrivés dans le désert Salvador Dali, en référence à un grand nombre d’œuvres où il faisait apparaitre des rochers isolés et caractéristiques, au milieu d’un néant minéral jaunâtre et ocre. Sans aller jusqu’à imaginer les fourmis et les montres qui fondent, on retrouvait l’ambiance des toiles du peintre.

Puis nous avons continué la piste jusqu’à la Laguna Verde et celle Blanca. Nous n’irions pas plus loin dans ce sens, car c’est le Chili qui se trouvait à quinze kilomètres de là. Je retrouvais en effet ce fameux volcan qui m’avait tant impressionné et servi de boussole dans le désert d’Atacama : Le Licancabur et ses cinq mille neuf cent seize mètres d’altitude, véritable garde-frontière.

Malgré sa forte concentration en cuivre et arsenic, le gel en hiver et les radiations intenses d’ultraviolets, la Laguna Verde abrite une faune planctonique extrêmophile, comme c’était aussi le cas du salar d’Atacama. Cet environnement est sans doute très proche de celui qui régnait sur Mars à une époque et attise donc l’intérêt des scientifiques.

La Laguna Blanca, elle, contient du borax et se jette dans la première. Ce n’est qu’après quelques rafales de vents que la belle teinte turquoise s’est révélée, les sédiments renvoyant la lumière différemment.

Après un autre déjeuner de qualité, notre cuisinière se surpassant à chaque repas, nous avons pris un bain dans les thermes de Polques, profitant de la forte teneur en minéraux des eaux chauffées par le volcan du même nom, qui se déversaient ensuite dans la Laguna Salada.

S’en sont suivi un séchage express, le soleil étant très puissant, et un passage tout aussi express au Sol de Mañana, où des geysers, ou plutôt des fumeroles, nous attendaient pour nous marteler que l’activité de la zone était puissamment géothermique. Faux pas interdit !

Le clou de la journée, s’il en fallait encore un, fut le coucher de soleil sur la Laguna Colorada, dans un contraste de teintes bleu, rose et jaune. Les couleurs de ce lac salé, comme les précédents, oscillent entre le marron, l’orange et le rouge et sont dues aux sédiments qui y reposent et aux microalgues qui y poussent.

Très peu profond, c’est un lieu idéal de reproduction pour les flamants rencontrés plus tôt, et ils peuvent être plus de vingt mille à se retrouver ici à la période propice. Lors de notre passage, ils étaient bien moins, à la recherche d’autres réservoirs de nourriture et luttant contre le froid. Leur principal ennemi est le gel, leurs pattes se trouvant emprisonnées après une longue inertie.

C’est proche de ce lieu, dans ce désert irréel, que nous avons mangé et passé la nuit. Un bar faisait même office de point de rassemblement officieux pour tous les groupes du coin. C’est ainsi que nous avons joué au baby-foot et au ping-pong à plus de quatre mille deux cents mètres d’altitude, sous une pleine lune des grands jours.

Le lendemain, nous sommes partis pour le Valle de las Rocas. Ces énormes blocs rocheux rouges, hautement abrasifs, proviennent d’éruptions volcaniques et chacun pouvait prendre la forme d’un objet ou d’un animal, avec un peu d’imagination.

Cela tombait bien : nous étions à un mois et demi du début de la compétition et la Coupe du Monde se dressait devant nous. Entre Français et Argentins, on se mettait déjà à imaginer qu’on la ramènerait à la maison. Pour le dromadaire, il n’y eut en revanche aucune concurrence et seulement quelques mouvements d’escalade pour essayer de maitriser l’animal.

Pour clore la tournée des lacs, il restait à voir la Laguna Negra qui, contrairement aux autres, offrait un cadre plutôt hospitalier aux animaux. On a pu observer des canards, des lamas et des Martin-pêcheurs au plumage bleu vert ravissant.

Il était donc possible de trouver de la vie au milieu de cette nature impitoyable. Enfin, ce fut au tour de l’anaconda de montrer ces belles courbes, au fond de son canyon. Cette vision vertigineuse sonnait la fin pour aujourd’hui des arrêts de contemplation.

Notre but était à présent de rejoindre les bords du salar d’Uyuni, pour passer la nuit le plus près de l’entrée, à Villa Candelaria. Il n’était plus question de reliefs, ni de monts et vallées mais de grandes plaines que traversait une ligne de chemin de fer. Celle-ci voyait transiter chaque jour des cargaisons de minerais.

Nous nous sommes arrêtés une dernière fois à Julaca, Vicente voulant nous montrer des bières de cactus et de quinoa. A part le petit magasin et la voie ferrée, ce village paraissait abandonné, comme un décor de cinéma, pittoresque et graphique.

Pour bien préparer le lendemain, qui s’annonçait comme le point d’orgue du tour, et nous mettre dans l’ambiance, c’est dans un hôtel de sel que nous avons dormi. Une expérience unique et profondément immersive, puisqu’absolument tout était fait à base de la ressource toute proche et abondante, que ce soient les murs, les tables, les sièges, les lits, le sol. Rien n’y échappait.

A cinq heures trente du matin, nous avons repris le véhicule pour aller se positionner à quelques kilomètres de là, sur les rives du salar, et attendre. A cette période, de l’eau stationnait sur les bords, ce qui nous annonçait un très grand spectacle. Le froid était lui aussi de mise, puisqu’à près de trois mille sept cents mètres, l’absence de soleil et de ses effets se sentait particulièrement.

Personnellement, je savourais ce moment. Nous étions dans des conditions idéales. Il y avait de la place pour tout le monde, malgré la queue de voitures et les gens étaient relativement silencieux. J’étais, une nouvelle fois, dans un de ces rendez-vous qui livrent une expérience grandiose, au bon moment, au bon endroit et avec les bonnes personnes.

Les jours précédents avaient nourri nos yeux d’œuvres magnifiques, progressivement, et il était écrit que l’apothéose commencerait tôt ce matin. La nuit et la lune passèrent très lentement le relais au soleil, embrasant ciel et sol sous l’effet du miroir aquatique. C’était le plus beau lever de soleil de ma vie.

Ce salar est le plus grand et le plus haut désert de sel au monde, avec cent cinquante kilomètres de long et cent kilomètres de large. Le lac Tauca, qui lui a donné naissance lors de sa disparition, a recouvert une partie de l’Altiplano bolivien lors de la dernière déglaciation.

Au sein du « triangle du lithium » constitué avec le salar d’Atacama, au Chili et celui del Hombre Muerto en Argentine, le salar d’Uyuni concentre la moitié des réserves exploitables du métal en question, essentiel pour la fabrication de piles et de batteries, et donc l’attention du gouvernement et de plusieurs multinationales.

Après avoir repris nos esprits, nous avons traversé la zone humide, en espérant ne pas s’embourber, et rejoint l’autoroute de sel qui se perdait à l’horizon, dans toutes les directions possibles. Nous visions Incahuasi, la maison de l’Inca en quechua, une colline au milieu du salar qui se transforme en île quelques jours par an.

Les centaines de cactus qui la recouvrent, immenses, offraient des détails sur lesquels l’œil pouvait s’attarder, aveuglé par le blanc omniprésent et lassé par la carence d’un quelconque relief.

Après la traditionnelle séance photos, où les groupes rivalisent de créativité (ou de son manque), nous sommes passés par le seul hôtel de sel dans l’aire du salar, construit avant la protection du site, où nous avons tout à coup repris contact avec l’humain et la mondialisation. Un monument rappelait le passage d’une édition du Rallye Dakar à proximité.

Et comme toutes les aventures ont un terme, nous avons fini par sortir du désert blanc et rejoindre Colchani. Le calme après la tempête visuelle. Le dernier déjeuner tous ensemble fut l’occasion de remercier chaleureusement Vicente et notre cuisinière, aux petits soins quotidiens.

Nous avons ensuite atteint Uyuni, la célèbre, par une route dont nous avions oublié l’absence de secousses. Nous avons visité le cimetière de trains puis repris nos sacs. Vicente repartait à Tupiza pour ouvrir les yeux d’autres touristes et leur permettre de vivre l’une des plus belles excursions au monde.

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