Ambiance musicale : Déjame vivir en paz – Así D’ Ron
Ma parenthèse nord-argentine se terminait ainsi, courte mais de très bon augure pour la suite. Après un retour à Humahuaca, dernière gare routière sur la route 9 pour le Nord, j’ai pris un bus en direction de La Quiaca, accompagné d’Elise.
Une fois déposés, nous avons investi nos derniers pesos argentins pour la suite du voyage, avec du dulce de leche et des noix du Brésil, puis nous avons rejoint le pont international derrière lequel se trouvait Villazon et l’État plurinational de Bolivie.
Ce passage de frontière s’est fait dans une relative quiétude administrative, les agents argentins nous remettant un papier à conserver jusqu’à la sortie de la Bolivie, et ceux boliviens se contentant d’apposer à l’encre un « 30 dias » circulaire sur le tampon de sortie du premier pays. J’ai presque imaginé que nous avions manqué une étape.
De l’autre côté, un autre pays, d’autres façons de faire et d’autres idoles. Un premier buste d’Ernesto « Che » Guevara et une gare routière relativement neuve, où toutes les compagnies utilisaient de bruyants rabatteurs et où il fallait payer un droit d’usage du terminal.
Nous avons donc pris la route de Tupiza, dans un bus avec vue, au premier rang de l’étage. Elise, qui avait un petit sac de feuilles de coca, m’en a proposé. Cette plante, utilisée à des fins rituelle ou médicinale, est un véritable marqueur de la culture andine. On lui attribue des vertus stimulantes et elle permet une meilleure tolérance aux effets de l’altitude.
La consommation se fait sous forme de chique ou de tisane. En ce qui me concerne, cette première expérience n’eut d’autres effets que d’entrainer une légère insensibilité de la joue contre laquelle se trouvaient les feuilles mastiquées.
Tupiza, dans le département de Potosi, se trouve sur le territoire des indigènes Chichas, lesquels ont donné leur nom à la Cordillère qui entoure la ville, formée de montagnes rouges qui abritent de nombreux villages miniers. C’est aussi ici que Butch Cassidy et Sundance Kid, bandits américains de la bande Wild Bunch, ont trouvé la mort en 1908, face à la cavalerie bolivienne.
Poussiéreuses et légèrement polluées par les gaz d’échappement trop riches en huile, ses rues étaient occupées en grande partie par les toritos, espèces de tuk-tuks que j’avais plutôt associés jusqu’à présent à l’Inde et au Sud-Est asiatique. Cela donnait une impression bizarre. Cependant, nous étions bien en Amérique du Sud, puisque c’est de la cumbia qui s’échappait des enceintes.
Pour le prix habituel d’une auberge, nous avons pu profiter d’un hôtel. Ce n’était pas le pic de la saison touristique, et la plupart des gens qui voulaient aller découvrir les merveilles du Sud Lipez le faisait depuis Uyuni. C’était donc un grand luxe que nous nous accordions, et nous avons aussi fait connaissance avec les douches boliviennes, moins luxueuses et beaucoup plus propices aux petites décharges électriques.
Pour mon plus grand plaisir, j’ai retrouvé de la nourriture de rue, comme elle est si facile à trouver en Asie. Pour quelques bolivianos, il était possible de s’installer dans une des allées du marché et commander un repas complet, rapidement servi et cuisiné par des femmes au chapeau melon légèrement de travers, avec de grandes tresses dans le dos et une jupe aux couleurs vives : les cholitas.
Ces femmes étaient manifestement les patronnes, toutes puissantes sur les étals de produits frais, biologiques et locaux, ou ceux de la cantine. Contrairement à l’Argentine et au Chili, on nous a expliqué que tous les produits que nous voyions étaient cultivés à quelques kilomètres de là, de façon plus écologique, sans engrais et sans volonté productiviste.
Si j’avais pu perdre quelques kilos précédemment, je savais que j’allais inévitablement me remplumer ici : chaque plat comprenait de la viande et les féculents coulaient à flots, sous forme de soupe ou d’accompagnements, qu’ils s’agissent de pâtes, de pommes de terre, de riz, de quinoa et parfois même d’une combinaison de ces derniers. Je n’ai pas pu m’empêcher de m’offrir quelques fromages de chèvre frais, qui furent un délice.
Ici, les gens paraissaient beaucoup plus introvertis, calmes et gentils. Comme si l’altitude et les conditions exigeantes de vie de l’Altiplano les avaient rendus plus durs, moins expressifs. Pour ce qui est de la langue espagnole, c’était un plaisir d’échanger avec eux puisque la diction était beaucoup moins rapide, et donc plus facile à comprendre.
J’ai aussi retrouvé une caractéristique que j’avais déjà rencontrée dans d’autres pays en développement : alors qu’une partie importante de la population vivait avec très peu d’argent pour les besoins primaires, les compagnies de télécommunications déployaient d’énormes moyens pour faire la promotion de leur internet 4G ou de leur dernier forfait de téléphonie mobile.
Notre première vraie journée ici fut dédiée au repos. Déambuler dans la ville, discuter, manger et recommencer. Elise n’irait pas dans le Sud Lipez, aussi il fallait que je commence à faire le tour des nombreuses agences pour les mettre en concurrence.
Etant seul, je savais qu’il fallait que je m’associe avec d’autres personnes pour déclencher un départ et être en meilleure position de négociation. A tout hasard, j’ai laissé un message encourageant à Lucila et Gabriel, pour voir ce qu’ils en pensaient. Je savais qu’ils n’étaient pas forcément très partants pour cela, cette aventure ayant un coût certain, mais cela aurait alors une toute autre saveur que de le faire avec des inconnus, dans un premier temps…
La fin de journée s’est amorcée avec la prise d’un peu de hauteur pour mieux admirer l’endroit où nous étions. C’était devenu une vraie habitude pour moi. Nous étions encerclés par des montagnes minérales, laissant peu de choix à la végétation.
De retour au village, dans la pénombre, et attirés par le bruit en provenance du gymnase, nous avons descendu la grande rue jusqu’à trouver de nombreuses personnes dehors, et des enfants en costume traditionnel. Nous avions la chance d’être là pour leur festival annuel de danse, réunissant toute l’école.
C’est surtout le peuple des Aymaras qui est présent dans ce coin du pays, et le wiphala, ce drapeau composé de carrés de sept couleurs vives, est le symbole de leur revendication ethnique. C’est aussi le deuxième drapeau officiel de la Bolivie, accolé à celui vert, jaune et rouge depuis 2009, et il permet de reconnaitre et représenter, de façon plus large, la grande diversité des peuples autochtones.
En rentrant, j’ai vu que mes camarades argentins m’avaient répondu et qu’ils arriveraient le lendemain soir ici. Il ne restait plus qu’à essayer de les embarquer dans l’aventure. Je me surprenais donc à accepter ce contretemps, moi qui avais jusqu’à présent souvent décidé seul de mon emploi du temps, sans contrainte, et qui avais souvent enclenché la suite des événements sans avoir à l’attendre.
Finalement, cette attente s’accompagnait de repos et ces repas au marché me plaisaient beaucoup. Comme prévu, nous nous sommes réunis en fin de journée, avec également Antonella et Gaston, rencontrés à Iruya, et l’hésitation s’est vite dissipée. Nous serions cinq et pourrions partir le lendemain : les étoiles s’étaient alignées et elles faisaient maintenant place à de l’excitation.
Suite à cela, nous sommes allés manger et j’ai suivi des discussions intéressantes sur la situation géopolitique de la Bolivie, et en particulier sur son enclavement suite à la guerre du Pacifique (1879-1883) qui serait la cause du statut actuel du pays, le plus pauvre d’Amérique du Sud.
Pour notre interlocuteur, les Boliviens se seraient engagés pour aider le Pérou et les Chiliens auraient profité du carnaval des Boliviens, à Oruro, pour attaquer et gagner des batailles décisives. Si ces dernières affirmations paraissent fausses historiquement, il est certain que la perte de l’accès à l’océan Pacifique n’a pas aidé au développement du pays, malgré l’abondance de ses richesses en matières premières.
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