Ambiance musicale : Cuando el mar se trague el sol – Hal Incandenza & Linda Mirada

En ce milieu de journée, c’étaient plus de quatre cents kilomètres qui m’attendaient en bus pour rejoindre La Serena, dans la région de Coquimbo. Par chance, j’avais arrangé un autre Couchsurfing avant de partir, il ne me restait donc plus qu’à profiter du paysage et me renseigner sur les environs.

Ces paysages ont d’ailleurs eu l’occasion de changer drastiquement, entre des vallées riches de nombreuses cultures en premier lieu et des environnements à la végétation très sèche ensuite, faite de rares buissons et cactus. Le sable s’était invité sur ma gauche, l’océan bordant la route Panaméricaine.

On pouvait voir des ânes et des chevaux au milieu des plaines à présent arides. Quelques éoliennes avaient fait leur apparition également. Le changement de cadre était assez impressionnant, en si peu de distance. Quelques vendeurs montaient dans le bus à chaque arrêt, tentant de vendre glaces et cacahuètes.

Le temps passait au fur et à mesure des kilomètres mais le soleil ne semblait pas vouloir se coucher aujourd’hui. Il est resté très bas pendant longtemps, offrant de belles couleurs chaudes à quiconque voulait bien regarder par la fenêtre.

Comme nous sommes arrivés très en retard et que je n’avais pas de service internet, j’ai dû rejoindre le centre commercial proche de la gare routière pour trouver un Wi-Fi et communiquer avec Loreto. Son domicile n’étant pas à proximité immédiate, elle est venue me chercher en voiture et nous nous sommes tout de suite bien entendus.

Le lendemain, en son absence, je suis allé visiter la ville, dans un style néocolonial, et son musée, ce qui fut l’occasion d’apprendre que c’était la chute de Constantinople, prise par les Ottomans, qui avait entrainé la recherche d’une route occidentale des Indes, l’Europe ayant besoin des marchandises qui transitait auparavant par la route de la soie. Cela signa le début de la période des « Grandes découvertes ».

Pour terminer la journée, je suis allé voir cette grande plage dont jouissait la ville, et j’ai pu profiter du même coucher de soleil que la veille, sans fin et paraissant enflammer l’horizon. A mon retour, j’ai découvert que Facundo avait voulu goûter la doudoune que j’avais lavée le matin, et qu’il ne lui avait laissé aucune chance. Ce brave toutou était tellement beau dans le rôle de l’innocent que je ne pouvais lui en vouloir et c’était plutôt l’heure de goûter les fajitas et le guacamole que j’avais préparés.

En cette matinée, le temps était gris à La Serena et j’avais dans l’idée d’aller à Vicuña pour deux raisons : il s’y trouvait un observatoire astronomique où l’on parlait français et ce serait un bon point de départ pour explorer la vallée du pisco ensuite. Quand Loreto a compris que son problème d’eau chaude ne serait pas réglé dans la matinée, elle m’a tout simplement proposé d’y aller tous ensemble, avec Facu !

Nous avons donc emprunté la bien-nommée Ruta de las estrellas et eu la surprise de voir le temps se dégager complètement, juste après le tunnel menant au lac réservoir, et laisser place à un grand soleil et des montagnes relativement nues.

Après avoir réservé la visite du soir auprès d’Eric, astronome toulousain venu s’installer il y a de nombreuses années et maintenant en charge de l’observatoire del Pangue, Lolo m’a emmené déjeuner à la brasserie de Diaguitas, qu’elle aimait bien et où nous avons donné raison au dicton :

“Guatita llena, corazón contento”

De retour à Vicuña, un café et une glace à la lucuma ont scellé ce début d’après-midi. Une fois Lolo et Facu partis, je suis allé m’installer au camping, où des avocats et des raisins poussaient dans l’espace qui nous était dédié.

Comme à Valparaiso, mais dans une moindre mesure, les rues étaient très colorées. Les graffitis traitaient surtout de la terre et des croyances locales, sans oublier l’histoire de la ville, mise en avant par Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature pour ses poèmes, et née ici. Sur la place principale, les discussions allaient bon train.

Le soir, notre groupe d’astronomes en herbe a rejoint l’observatoire pour ce qui s’annonçait comme quelque chose d’exceptionnel. La zone d’ici au désert d’Atacama et celle d’Hawaï sont les meilleurs endroits d’observation au monde, avec plus de trois cents jours de ciel dégagé par an et des pollutions lumineuse et atmosphérique, liées à l’activité humaine, inexistantes.

C’est donc sans surprise qu’on retrouve aussi des télescopes énormes et radioguidés depuis différents pays sur les montagnes environnantes. Par chance, nous étions en phase de lune nouvelle : le spectacle pouvait commencer. Notre œil s’était habitué à l’obscurité et on pouvait se voir à la seule lumière des étoiles. Notre lampe frontale rouge avait perdu toute utilité.

Les chiffres évoqués donnaient le tournis et paraissaient infinis : l’Univers (observable) serait composé de deux cents milliards de galaxies, chacune constituée de centaines de milliards d’étoiles et autant de planètes. La Voie Lactée, notre galaxie, aurait un diamètre de cent mille années-lumière et notre Système solaire est donc microscopique au milieu de tout cela.

Au-delà du soleil, l’étoile et le système planétaire les plus proches sont Alpha du Centaure et se situent à quatre années-lumière. Les planètes, les étoiles, les satellites naturels ont tous plus ou moins la même composition, seul le déclenchement et la continuité de la fusion nucléaire change leur catégorie, permettant aux deuxièmes de produire de l’énergie et de la lumière.

Eric nous a convaincu que le ciel austral était fantastique, puisque malgré la distance de deux cent mille années-lumière, il permettait d’observer deux galaxies à l’œil nu, avec le Grand et le Petit nuage de Magellan. Nous (ou d’autres personnes !) pourrions d’ailleurs les voir de plus près dans deux milliards d’années puisqu’une collision est prévue entre le Grand nuage et la Voie lactée.

Il nous a aussi plongés dans la philosophie, avec la supernova (mort d’une étoile dans une implosion extrêmement lumineuse) d’Eta Carinae, située à plus de sept mille années-lumière, mais pour laquelle on estime l’évènement à moins de sept cents ans. Nous étions donc en train de regarder quelque chose qui n’existait plus aujourd’hui : nous regardions le passé…

Bien sûr, il y en eut également pour les nébuleuses, ces objets célestes faits de gaz et de poussières, qui jouent un rôle clé dans la naissance des étoiles, avec la concentration d’hydrogène, qui nous apparaissait comme une tâche sombre. La densité est telle que la lumière des autres étoiles situées derrière ne pouvait percer ces nuages.

Le bouquet final de cette grande odyssée cosmique est arrivé avec le lever de Jupiter, particulièrement brillante et visible dans la lunette du télescope. A côté, la Croix du Sud, qui était devenue ma nouvelle Grande Ourse, faisait pâle figure.

Le lendemain, après un réveil au frais et de beaux rayons pour réchauffer l’atmosphère, j’ai pris la route de Pisco Elqui en colectivo, après que celui-ci ait laissé passer les quelques chariots de carnaval, recouverts de joyeux enfants.

La vallée était magnifique, comme une oasis au milieu de ces sommets culminant à plus de cinq mille mètres d’altitude. La rivière fournissait les ressources pour tapir le début des versants de vignes verdoyantes, puis la sécheresse se déclarait au-dessus.

Ce raisin, du cépage muscat, permet de faire le pisco, une eau-de-vie de vin déclarée boisson nationale ici et au Pérou, et pour lequel les deux pays s’affrontent pour faire reconnaitre l’origine de l’appellation. Un des faits d’armes local fut de renommer La Union en Pisco Elqui, en 1936.

Je suis donc parti à la recherche de la distillerie Los Nichos, recommandée par mon hôte. Depuis 1868, on s’occupe ici de presser le raisin, le laisser décanter et fermenter dans de grandes cuves en inox, puis on le distille avec un grand serpent d’eau chaude, dans un alambic en cuivre, pour en garder le cœur, avec l’éthanol et les arômes les plus intéressants.

Ce sont cent quatre-vingt mille bouteilles qui sortent du domaine chaque année, entre trente-cinq et quarante-cinq degrés. Et je ne pouvais partir d’ici sans une petite dégustation d’alcool de dix mois et une autre de dix ans.

Après une autre dégustation chez Doña Josefa et l’occasion de constater qu’il n’y avait pas que le soleil qui chauffait ce jour-là, j’ai déjeuné au village, amusé de pouvoir reconnaitre la patte d’un artiste découvert à Valparaiso, et repris le micro pour La Serena.

Loreto m’avait proposé de participer à une tradition chilienne avec sa famille, à savoir « tomar once ». Ceci pourrait correspondre à l’heure du thé, ou le goûter chez nous. Il y a très souvent des boissons chaudes et des tartes, des desserts et des pains divers.

Je me sentais très honoré d’être là et de partager ce moment, au même titre que Rafa et Vero, autres amis de voyage de Lolo, qui venaient dormir chez elle également ce soir-là. Un très beau moment d’accueil, alors que nous nous connaissions relativement peu…

Cet instant m’a touché. Cette générosité était vraiment belle et je me suis dit qu’il faudrait s’en souvenir pour plus tard. Le grand-père a même voulu me montrer le portrait, accroché dans sa chambre, de Gabriel Gonzalez Videla, président du Chili entre 1946 et 1952, et natif de La Serena.

Plus tard, nous avons fait une soirée jeux chez Lolo, pour ces derniers instants à La Serena. Je savais que je partirai le lendemain pour le désert et que je retrouverai sans doute ces nouveaux camarades plus tard.