Ambiance musicale : Armar la cama es un recuerdo – Coiffeur
Face à la pluie de cette matinée, et après avoir parcouru les lieux que je voulais visiter sur l’île de Chiloé, je me sentais naturellement enclin à me remettre en piste, en direction du Nord. Quynh, Vietnamienne rencontrée à l’auberge et qui ne savait pas véritablement où elle voulait aller, m’a accompagné pour prendre le bus ensemble.
Mon choix s’est porté sur Puerto Varas, et spécialement parce qu’il s’agit d’un point de base pour l’accès à la Vallée de Cochamo, dont on m’avait vanté la beauté lors d’une halte précédente.
Avant de partir, tout un tas de pensées m’ont envahi en ce jour anniversaire, ce 21 mars 2018, cette date spéciale où 1 an s’était écoulé depuis mon départ et où un petit point d’étape s’imposait…
« C’est depuis l’île de Chiloé et sa buena onda que je réalise qu’un an a passé depuis mon départ.
Une année, c’est long… et c’est court à la fois. C’est relatif. Des gens me manquent, la famille, les amis. Les choses, un peu moins. Comme pour tout, on finit par s’habituer, et à défaut de pouvoir prendre mes proches dans les bras, je les embrasse numériquement.
D’un autre côté, le changement permanent rend chaque journée spéciale, intéressante, digne d’être vécue. En ce sens, il vaut peut-être mieux être du côté de celui qui part que de celui qui reste, même si cela dépend de tout un chacun de faire de son quotidien un « piment rouge, un casse du siècle ».
C’est donc par choix que je suis sorti de ma zone de confort, celle de l’habitude, de la connaissance, de l’espace familier. Tout commence par un choix. Nous « sommes nos choix ». Dans cette zone d’apprentissage, tout parait (et l’est véritablement, au début) inconnu et l’effort constant est nécessaire. Mais on m’avait prévenu que c’était « là que se produisait la magie… »
Après cette année d’école un peu spéciale, je ne peux que constater que ce qui était loin, compliqué, dangereux est devenu accessible et que le charme a opéré et reste bien présent. Des portes se sont ouvertes, la connaissance s’est agrandie, la confiance aussi. Je peux donc aller un peu plus loin et continuer ma route.
Je n’aurai pas la chance d’être « déçu, dans vingt ans », de ce voyage qui aurait pu ne jamais se produire. J’aurai « exploré, j’aurai rêvé, j’aurai découvert ». Je vous souhaite donc de « larguer les amarres et sortir du port représentant la sécurité ».
Partez à l’aventure, trouvez votre projet, quoi qu’il implique, et lancez-vous. Le gâteau est juste devant vous, pour peu que vous en cuisiniez les ingrédients. »
Après ce bilan, place de nouveau à l’action !
Puerto Varas est une ville de la région des Lacs, fondée par des immigrants allemands en 1853. Si l’Amérique du Sud a été notoirement colonisée au début du XVIème siècle par les Espagnols et les Portugais, d’autres vagues d’immigration ont suivi bien plus tard, et les Allemands ont particulièrement posé leur empreinte dans la province de Llanquihue.
A peine arrivés, c’est de nouveau la pluie qui nous a accueillis, accompagnée de l’obscurité. J’avais pris l’habitude de ne plus réserver, l’arrivée en dernière minute dans des auberges pas vraiment pleines me laissant une meilleure marge pour éventuellement négocier le prix de la nuit, surtout en parlant la langue. Mais ce soir-là, il a fallu en passer plusieurs en revue pour finalement tomber sur la bonne, toute en bois à l’intérieur.
Après avoir pris nos marques avec Quynh, j’ai rapidement fait la connaissance d’un duo d’allemands, frère et sœur parlant le français et l’espagnol, et de Sixtine, confortablement installée sur un canapé et trahie par la lecture du « Guide du routard ».
J’avais plutôt le parti pris d’éviter les Français, de prime abord, pour me consacrer à la découverte de l’environnement, avec des locaux ou des étrangers, en me disant que j’aurais le loisir de fraterniser avec les compatriotes une fois rentré en France. Mais cette fois-ci, tout paraissait indiquer une belle entente sur les premiers échanges : nous nous sommes donc entendus pour visiter la ville le lendemain, à trois.
Malgré une situation géographique très enviable, sur les rives du lac Llanquihue et avec une vue imprenable sur le grandiose volcan Osorno, tout cela était invisible en cette journée. Les ponchos étaient de sortie, pour un tour des maisons et églises à l’architecture typiquement germanique. Seules de belles empanadas aux crevettes, cuites au four, ont pu réchauffer l’atmosphère.
L’église du Sacré Cœur de Jésus est, par exemple, quasiment la réplique de celle de Baden-Wurtemberg. Les consonances des noms ne laissaient, elles non plus, aucune ambiguïté sur leur provenance.
Le lendemain, nous avons laissé Quynh pour rejoindre Shoruk et Jordi, amis de route de Sixtine, rencontrés en Argentine, avec qui nous avons visité la petite ville de Frutillar, sur le même thème d’influence culturelle. La journée s’est poursuivie à Puerto Varas, entre glaces et discussions politiques, sur la situation de l’Espagne, du Chili, de l’Amérique latine, avant de se terminer autour d’un repas commun et de la découverte du cabernet sauvignon chilien.
Comme prévu, la journée suivante a commencé avec de grands rayons de soleil, et ouvrait une fenêtre de trois jours de beau temps : c’était tout ce que je demandais pour aller arpenter la vallée de Cochamo, dont l’entrée se trouvait à cent kilomètres de là.
Malgré ma dernière tentative de persuasion, Sixtine est restée à l’auberge, puisqu’elle devait rejoindre une autre amie de voyage, dans la région. J’ai donc pris le bus en direction de cet équivalent de parc Yosemite en version chilienne, fait de grandes parois granitiques et d’ensembles géologiques massifs.
Comme le bus n’allait pas jusqu’au bout, je suis descendu à Ensenada, à peine à mi-distance, et j’ai pris le pari de l’auto-stop, sans attendre un autre bus, hypothétique et bien plus tard. Je préférais me rendre rapidement au point de départ.
Le premier tronçon s’est fait avec un producteur de saumon de Chiloé qui allait à Ralun, et qui nous a donné juste assez de temps pour parler de l’histoire du Chili et du traité avec le Pérou et la Bolivie lors de la guerre du Pacifique, concernant la région d’Antofagasta.
J’ai été immédiatement ramassé par une deuxième voiture avec, à son bord, David, chapeau tyrolien vissé sur la tête, dont j’allais apprendre qu’il était le petit-fils d’un Français de la division Charlemagne (qui fut un bataillon de la division SS et qui combattit aux côtés de nazis) et qui était venu s’installer ici après la Seconde Guerre mondiale. « Mais ça, c’est l’Histoire… »
Il était visible qu’on arrivait dans un endroit reculé, puisque la route venait de se transformer en piste pour arriver à Cochamo. Juste après s’être garés, nous nous sommes salués quand tout à coup, nous nous sommes fait rentrer dedans !
C’était une première pour moi : je ne connaissais pas vraiment le conducteur, nous venions de nous dire adieu mais je suis resté pour m’assurer du bon dénouement de l’incident, me sentant quelque peu concerné. Heureusement, sa voiture était plus qu’âgée et il n’a pas fait cas de la portière un peu froissée…
« Tranquilo, no pasa naaada ! »
Après quelques courses pour faire des sandwichs, j’ai approché un couple qui semblait décidé à aller randonner et ce fut gagnant. Christian et Astrid se rendaient aussi au démarrage de la randonnée, sauf qu’ils ne souhaitaient pas s’engager sur plusieurs jours et se posaient quelques questions sur leur organisation.
Je les ai donc remerciés et laissés à leurs tergiversations pour me lancer seul en direction de La Junta, où un camping était installé. Traversant quelques bords de prés puis des sous-bois au bord du Rio Cochamo, c’est un long jeu de pistes qui s’est mis en place, que ce soit pour suivre le chemin ou éviter des flaques transformées en obstacles très sérieux.
A ce titre, les bottes des gauchos et des gardes rencontrés étaient beaucoup plus appropriées que les chaussures de marche : le « chemin » était en effet partagé avec des chevaux et des vaches, et les pluies des jours derniers l’avaient rendu plus que gras, piétiné de part et d’autre. Cet itinéraire était utilisé naguère par des marchands de bétail pour traverser la vallée et rejoindre l’Argentine de l’autre côté.
Plus j’avançais, et plus la forêt se faisait dense. Cette dernière n’étant plus exposée directement aux rayons du soleil, elle devenait franchement sombre et il me tardait d’arriver au bout de cette épreuve de glisse de plus de douze kilomètres.
Cette randonnée était comme une métaphore de la vie, avec un chemin officiel, entendu, mais parfois peu visible, et de nombreux chemins officieux, et pourtant bien empruntés, pour arriver à la même destination. Ici, en l’occurrence, l’arrivée se trouvait au camping, sous les immenses parois de granit tout alentour.
Après avoir installé ma tente et m’être restauré, j’ai pris le chemin du duvet, sous un spectacle cosmique.
Cette nuit fut froide et ce fut la première où je sentis le besoin de m’habiller un peu dans mon enveloppe de plumes. N’ayant pas réglé d’alarme, je me suis réveillé tardivement, avec la tente encore gelée. Suite à la conversation avec la garde et au paiement de la nuitée, l’idée de s’attaquer à l’Arcoíris est venue naturellement. D’autres itinéraires étaient possibles, mais celui-ci s’annonçait merveilleux. Vamos !
En montant, j’ai fait la rencontre d’Alexander, jeune Chilien parcourant son pays depuis Villa Alemana, non loin de Valparaiso, et se dirigeant plein sud. Le parcours, très exigeant, très raide, et parfois même glissant, a emprunté différents types de végétation, entre un bosquet de bambous, des buissons de houx et des mélèzes millénaires. Les pics-verts donnaient le tempo.
Après être sortis des bois, ce fut encore de la grimpette, en s’aidant avec les mains puis en utilisant des cordes installées. Plusieurs fois, je me suis dit que ce niveau de difficulté s’apparentait à une vraie via ferrata, mais qu’il n’y avait pas de protection. Nous étions sans filet et il aurait été impossible de deviner la meilleure voie sans les nombreux cairns disséminés.
Finalement, nous avons atteint le mirador, l’endroit depuis lequel on m’avait promis une vue exceptionnelle. La vérité s’est étalée sous mes yeux, avec un panorama à couper le souffle. Une vision à trois-cent-soixante degrés, faite d’un volcan, de lacs, de rivières, de forêts, d’immenses blocs de pierre et d’une vertigineuse vallée au centre.
Après une belle pause, nous avons entrepris la descente, et comme très souvent, celle-ci nous a paru bien plus risquée que la montée. Des heures d’efforts plus tard, nous avons rejoint notre camp de base pour un repos mérité, et une autre nuit en-dessous de zéro degré.
Ce matin-là, c’est encore un puissant soleil bienfaisant qui a ramené tout cette nature à la vie. Sans trop de pression, j’ai pris le temps pour remballer tout le matériel puis aller voir les environs, fait de toboggans aquatiques et d’un chariot en tyrolienne, disponibles pour qui prenait la peine de traverser un torrent à l’eau glacée pour les rejoindre.
Il était maintenant temps de repartir, et le hasard a fait que j’ai croisé Alexander de nouveau. Nous avons donc fait le chemin du retour ensemble, et j’avais presque oublié, au milieu de tout cet aspect minéral en haut de la montagne, que c’étaient ici des tranchées qu’il fallait suivre, des barbelés qu’il fallait contourner, des mares qu’il fallait éviter. Le chemin était légèrement meilleur mais le pont suspendu final n’était pas plus sécurisé qu’à l’aller.
Après un déjeuner dans une petite clairière, mis en commun par solidarité, nous sommes finalement revenus au parking, où nous avons attendu un taxi pendant un temps certain. En commençant à m’habituer au rythme sud-américain, je savais qu’il ne fallait pas que j’espère prendre le bus dans lequel j’aurais dû pouvoir monter, et cela n’a pas manqué.
De retour au village, et alors que les autres passagers s’étaient résignés à y dormir, je voulais croire qu’il était possible de faire de l’auto-stop, malgré l’heure tardive et le peu de trafic apparent, puisque nous étions proches de la fin de la route. Quelques rares voitures sont passées, pendant que je prenais quelques photos, avant que l’incroyable ne se réalise.
Un professeur de musique, ancien militaire, conduisait un projet d’orchestre à Rio Puelo, pour des enfants qui n’avaient pas accès à cette culture musicale en temps normal. Pour lui, la mission s’achevait et il était pressé de rentrer à Puerto Montt, d’où il venait. Puerto Varas était sur le chemin et je pense qu’il s’agissait de la dernière voiture de la journée, dans cette direction.
J’ai donc chargé mon sac à dos à l’arrière du véhicule à quatre roues motrices et nous avons fait la route ensemble, en discutant de sa passion et de sa pratique de la musique, de nourriture française et chilienne, de voyages et d’histoire. Le soleil se couchant, nous avons fait une petite pause pour admirer les changements de couleurs au-dessus du lac Llanquihue, avec le volcan Osorno en vedette.
Après m’avoir déposé, je suis retourné à l’auberge que je connaissais un peu mais l’ambiance avait forcément changé, mes camarades de voyage ayant disparu. Je me suis donc simplement retrouvé seul, pour me refaire le fil de ce que j’avais vécu ces derniers jours, et réaliser à quel point j’avais adoré cette parenthèse.
Assurément un grand moment de mon expérience chilienne, à tel point que j’imaginais que si je pouvais retrouver le couple qui m’avait donné cette adresse, lors de notre rencontre à Puerto Natales, je les remercierais abondamment pour le partage…
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