Ambiance musicale : Tu me arrebata – Ñejo & Luny Tunes

Nous avons embarqué autour de deux heures du matin et rapidement tenté de nous endormir, malgré le boucan du moteur, les secousses et l’air qui s’engouffrait dans la cabine. Nous étions aux quatre vents et vulnérables malgré le toit qui nous couvrait et les rideaux baissés.

Puis le jour s’est levé, avec un superbe panorama sur la rivière Marañon. Le petit-déjeuner fut rapidement servi, dans une barquette, fait de poulet et de riz. J’étais à l’avant, au milieu de quelques marchandises et de motos.

Derrière, une jeune femme et son bébé attiraient mon attention, puisqu’elles venaient manifestement d’une communauté indigène, par les vêtements utilisés. La mère portait un pagne bleu et un haut violet permettant d’allaiter facilement sa fille, et les deux se déplaçaient avec un petit singe.

Plusieurs populations se croisaient ainsi, entre les locaux habitant dans des villes ou villages, des indigènes peu rompus aux usages de la société plus moderne et des occidentaux de passage ici, en short et tongs.

Après une longue matinée de navigation, nous sommes arrivés à Nauta, ville établie près de la confluence des rivières Marañon et Ucayali qui donne naissanceà l’Amazone, plus long fleuve du monde avec le Nil en Egypte.

C’était assez spécial d’arriver jusqu’ici, puisque ce genre de noms était assez mythique et n’existait jusqu’alors pour moi que dans les livres de géographie et les reportages animaliers sur la jungle.

J’ignorais d’ailleurs l’ampleur de ce fleuve et de son bassin, puisqu’il draine quarante pour cent de la surface de l’Amérique du Sud et que plus de mille cours d’eau l’alimentent. Il traverse trois pays et est à l’origine de dix-huit pour cent du volume total d’eau douce déversée dans les océans du monde.

Nous sommes descendus du bateau puis avons rejoint la gare routière, pour emprunter une route construite en 2000 au beau milieu de cet environnement et n’ayant qu’une extrémité : Iquitos. Plus de cent kilomètres séparaient ces deux villes et cet axe accélérait considérablement les échanges.

Je m’étonnai qu’une route ait pu être construite ici. La zone était simplement accessible par bateau ou avion, et j’avais abandonné la chaussée depuis Yurimaguas. D’ailleurs, Iquitos, en tant que capitale du département de Loreto, est la plus grande agglomération au monde non accessible par la route, avec ses trois cent quatre-vingt mille habitants.

Elle fut créée par les ordres catholiques des Jésuites et des Franciscains et connut une croissance rapide, grâce au développement des échanges avec les voies fluviales et la navigation à vapeur. Son expansion s’est vraiment confirmée avec l’ère du caoutchouc, exploité en masse au début du vingtième siècle, ici comme à Manaus, au Brésil.

Arrivés sur place, il n’y avait pas, ou peu, de voitures. Ce n’était pas surprenant, étant donné l’enclavement. En revanche, de vieux bus à la cabine en bois sillonnaient la ville et des motos avec carriole se promenaient, en nombre impressionnant. Le centre-ville portait aussi les marques d’un passé colonial et prospère, comme la Casa de Fierro, dessinée par l’entreprise de Gustave Eiffel.

En fin de journée, nous nous sommes promenés sur le Malecón, un terme que je pensais réservé à La Havane et son avenue de front de mer. C’était le lieu idéal pour flâner et prendre des bières pour se rafraîchir. On pouvait aussi observer que le faste d’antan avait un peu disparu, malgré le nouveau tourisme associé à la forêt vierge, et que les habitations ne vieillissaient pas toutes bien.

J’avais déjà fait mon excursion à Lagunas et je ne pouvais que m’en féliciter. Iquitos est la grande ville du coin et attire tous les touristes en quête d’aventure amazonienne. Pour traiter ce flux, le moyens mis en œuvre étaient beaucoup plus importants, les groupes étaient plus grands et les bateaux plus bruyants. Il devait en résulter une expérience assez différente de la mienne, quasiment sur mesure et plutôt rustique.

A la place, nous sommes allés nous promener sur le marché de Belen, pour faire des courses et petit-déjeuner à base de ceviche. Nous voulions prendre ensuite un bateau pour continuer de descendre l’Amazone et nous ne voulions manquer de rien, ne sachant pas exactement comment allait se dérouler le voyage.

Les premières interactions se sont faites avec des manières de s’adresser très chaleureuses, contenant des mi corazón ou mi amor. Nous étions dans le quartier populaire de la ville, sur sa partie haute, et le marché regorgeait de stands vendant du poisson, des épices, des fruits et toutes sortes d’autres choses. Ce fut aussi l’occasion de croiser certaines bêtes de près, qu’on préférait inoffensives ainsi.

La partie basse, elle, vivait au rythme des crues de l’Amazone et contenait plutôt des habitations sur pilotis. Nous étions en été et on nous avait prévenus que ce n’était pas le moment d’y aller, l’endroit dévoilant ses déchets au moment de la décrue et laissant apparaitre l’image d’un quasi-bidonville. Notre statut pouvait alors déclencher de mauvaises intentions.

Au lieu de ça, nous avons continué à explorer le coin, entre deux averses tropicales. Puis nous avons rejoint un port au bout de la ville pour voir quel bateau partait aujourd’hui et acheter nos tickets. Ce serait la Gran Loretana, une lancha sur laquelle nous allions passer deux nuits et plus d’une journée pour arriver à Santa Rosa.

Ce bateau lent à fond plat me paraissait bien plus approprié que les bateaux rapides qui existaient par ailleurs. Là aussi, je me surprenais car il me restait peu de temps de voyage et j’aurais pu vouloir accélérer les choses mais l’expérience me paraissait trop intéressante pour la manquer et j’étais bien avec mes camarades Victor et Vincent.

J’ai fini par acheter la seule pièce qui me manquait pour ce voyage : un hamac. Nous avons fait un aller et retour au centre pour récupérer les sacs à dos et avons attendu que les choses se mettent en place. L’expérience était très excitante et l’organisation de l’embarquement paraissait inexistante. Il devait bien y avoir un équipage et une hiérarchie, mais le seul costume que je voyais, c’étaient des maillots de football d’équipes différentes.

Un chargement incessant de marchandises avait lieu, et elles paraissaient empilées sans beaucoup y prêter d’attention. Ce pouvait être des bateaux, des matériaux de construction, des animaux, de l’épicerie ou même de l’électroménager. Tout avait un prix de transport et allait être déchargé au fur et à mesure de la descente du fleuve.

Organisé sur plusieurs étages, toutes les marchandises sont allées au premier niveau avec la salle des machines. La cuisine et les Péruviens étaient installés au premier, tous très serrés, pendant que les Blancs, d’où qu’ils viennent, étaient majoritairement au deuxième, un peu plus à l’aise.

Des douches et des toilettes existaient, alimentées par l’eau de l’Amazone. Des petites poubelles étaient disposées dans le bateau mais leur contenu finissait invariablement dans le fleuve. Tout venait du fleuve et tout retournait dedans.

La sirène a fini par retentir puis nous sommes partis. Rapidement, nous nous sommes installés dans nos hamacs et l’obscurité est tombée. Le bateau paraissait s’orienter sans allumer de feux. J’ai fini par fermer les yeux, pour la première nuit de ma vie en hamac.

Le lendemain, le réveil a été très matinal et annoncé par la distribution de repas plutôt frugaux. Cette journée s’annonçait évidemment très calme puisque seuls les arrêts dans les villages occasionnaient une rupture à la lente descente fluviale et l’occasion de voir comment les gens vivaient par ici.

Pour le reste, regarder des séries, faire la sieste ou prendre des photos des environs constituaient des occupations faciles. La plupart des débarcadères que nous alimentions étaient en terre glaise et pas vraiment construits. Les sites pouvaient aussi servir de décharge.

Chaque village avait sa petite particularité. Ici, on pouvait voir un hydravion, et là, une vieille barge servait de terrain de football. Pour moi, cette journée s’écoulait au même rythme que nous avancions et chacun y trouvait son compte, rattrapant un sommeil insuffisant. L’Amazone arborait des dimensions impressionnantes.

Nous avons terminé la journée avec le rhum acheté au marché et quelques jeux. Le soleil se couchait et laissait apparaitre une teinte rosée, où les moustiques étaient de sortie. Arrêtés à un port, de nuit, des dauphins jouaient juste en-dessous de la barrière. Lentement, je m’apprêtais à effectuer ma deuxième nuit en hamac, sans qu’elle m’incommode pour autant. C’était aussi la dernière au Pérou.

Le matin, après un mois et demi dans le pays, je suis finalement arrivé à Santa Rosa, une ile située dans la zone des Trois Frontières, à la pointe Sud-Est du Trapèze amazonien. Cette zone ne possédait pas de démarcations franches, nous savions simplement qu’une berge correspondait à un pays et que celle d’en face relevait d’une autre administration.

Nous sommes allés voir le service d’immigration pour obtenir le tampon de sortie de territoire, puis nous avons petit-déjeuné avec un Français qui vivait ici avec le visa qu’il trouvait, changeant régulièrement de service frontalier pour prolonger son séjour entamé des années auparavant.