Ambiance musicale : Me llaman calle – Manu Chao

Tout a commencé par la musique des discours, dans le terminal. Personne ne prononçait le nom de la ville bloquée, Sucre, mais les répétitions d’Oruro, La Paz et Cochabamba tenaient le haut de l’affiche. Après une nuit de bus, je suis arrivé au petit matin, content de pouvoir petit-déjeuner sur le pouce avec de la linaza caliente, une boisson de graine de lin.

J’ai ensuite rejoint mon hostal et passé une partie de la journée à écrire et l’autre à me reposer. Ces bus nocturnes permettaient de gagner des nuits mais aussi de perdre du sommeil.

En fin d’après-midi, j’ai quand même repris mes esprits et suis monté sur le Cerro San Pedro, pour voir le Cristo de la Concordia au coucher de soleil. Cette statue fut construite en souvenir de la visite du Pape Jean Paul II ici même, en 1988.

Du haut de ses trente-quatre mètres, c’est la deuxième plus grande statue de Jésus-Christ au monde, après celle du Christ-Roi de Świebodzin, en Pologne, mais devant celle du Christ Rédempteur de Rio de Janeiro.

Indépendamment des croyances de chacun, la statue imposait un respect certain et changeait de couleur au fur et à mesure de l’inclinaison du soleil. D’une blancheur immaculée, elle a viré au jaune au crépuscule. En-dessous, la ville s’étendait assez largement, sans vraiment en discerner les limites.

Au moment de redescendre, j’ai été alpagué par deux autres personnes, un Russe et un Néerlandais. L’endroit avait tendance à faire oublier certaines précautions basiques et il semblait que plusieurs cas de vol avaient eu lieu en bas des mille quatre cents marches qui reliaient la statue à la ville, dans un espace plus à l’abri des regards.

Nous avons donc uni nos forces pour se sentir légèrement plus costauds, ou du moins, légèrement moins vulnérables. La devise du pays n’est-elle pas La Unión es la Fuerza ? Toujours est-il que cela nous épargna de se faire détrousser et que je pus ainsi rencontrer Jurjen, avec qui je me sentais en phase, et qui partait le jour d’après pour le parc national Torotoro.

Je n’avais pas spécialement de plans pour le lendemain, j’ambitionnais de visiter la ville mais l’opportunité de me faire un nouveau compagnon de route et de découvrir ensemble un autre coin l’emportait. Le soir, j’ai diné avec Anto et Gaston, qui avaient eux aussi pris la direction de cette ville.

Après un lever très matinal, j’ai retrouvé Jurjen devant mon auberge puis nous avons rejoint le point de départ en micro, ces bus très colorés qui arpentaient les rues de la ville et desservaient chaque coin de rue, sans avoir besoin d’arrêt bien formalisé.

L’idée, en étant tôt au point de départ, était de maximiser les chances de départ. Il n’y avait pas d’heure fixe, ni même de départ assuré : le minibus décidait seulement de partir quand il était plein. Avec l’arrivée d’un gros groupe de Français, ce fut finalement possible, après deux heures d’espérance.

Le chemin parut interminable sur la piste. Quelques travaux nous ont même conduit à nous arrêter pour laisser faire les engins de chantier. Puis nous sommes finalement arrivés dans ce petit village tranquille, où les dinosaures veillaient.

Ce sont eux qui constituaient l’intérêt des jours à venir. De nombreuses traces de dinosaures ont été découvertes dans le coin et elles attiraient naturellement beaucoup de scientifiques. Par ailleurs haut lieu d’activité tectonique, le paysage paraissait avoir été modelé, avec l’impression que des mille-feuilles de couches sédimentaires s’étaient rentrées dedans et tordues sous la pression.

Comme les expéditions de l’après-midi étaient déjà parties, nous nous sommes contentés de nous promener dans le coin, en commençant à entrevoir les attractions du lendemain et nous rendant jusqu’au cimetière de tortues. On pouvait y voir des fossiles de crocodiles, de poissons et de tortues, dont certains dataient du Crétacé supérieur, soit plus de soixante millions d’années.

Le lendemain, nous avons retrouvé Christoph au bureau des guides. Décidément, malgré nos sacs à dos et notre volonté d’aventure, de rupture, nous faisions tous plus ou moins les mêmes périples, allant dans la même direction, dans les mêmes hostals. Il n’en était rien du hasard, qui nous amenait à penser que le monde était petit. Nous suivions simplement les mêmes traces.

Ce matin, elles allaient nous mener à la Ciudad de Itas. Ces formations rocheuses de plus de vingt mètres de haut ont été creusées par l’érosion et forment maintenant des cavernes assez remarquables, où le soleil tente de se frayer un chemin. On pouvait aussi voir quelques peintures rupestres et deviner des formes d’animaux sur les rochers extérieurs.

L’après-midi, notre guide nous avait promis des sensations dans la grotte d’Umajalanta et laissé le choix entre un circuit plutôt tranquille et un autre plutôt « aventura ! aventura ! ». Le groupe fut unanime pour le deuxième.

Cette grotte, très profonde, comprend des stalactites, des stalagmites, des passages très étroits et nous avons dû ramper à plusieurs reprises pour pouvoir s’extirper des petits boyaux, à la lueur de la frontale. Il parait qu’une forme de poisson aveugle a élu domicile dans la grotte, mais nous ne l’avons pas rencontré.

La soirée a été très calme, marquée par le départ de Jurjen et la coupure de courant qui n’avait pas l’air si extraordinaire, à en juger les locaux.

Le lendemain, un nouveau guide, professeur d’histoire, nous a emmenés découvrir les traces de dinosaures sous toutes leurs formes, herbivores ou carnivores. Vivant entre deux cent quarante et soixante-cinq millions d’années avant notre ère, ces animaux peuplaient alors un seul supercontinent : la Pangée.

Nous sommes ensuite aller admirer le canyon, depuis une passerelle perchée à deux cent cinquante mètres de hauteur, avant de descendre dans son lit pour une baignade très appréciée, à côté des chutes d’El Vergel. Cette eau paraissait même miraculeuse au milieu de toute cette sécheresse. En revanche, la remontée fut plus fastidieuse, en ce milieu de journée.

Peu de temps après le déjeuner, un minibus était sur le point de partir, avec une seule place restante : elle était pour moi ! Je suis donc rentré à Cochabamba et j’ai diné avec quelques personnes du groupe et Lisa, qui donnait de son temps pour une association ici et avait donc une meilleure connaissance des bons plans.

Le lendemain, j’ai retrouvé Christoph pour une petite visite de la Cancha, un des plus grands marchés du pays, où il était possible de trouver absolument tout, des articles modernes importés à l’artisanat local.

Les allées portaient même le nom de rues, pour arriver à localiser les échoppes. J’en ai donc profité pour racheter des lunettes de soleil et manger une délicieuse sopa de manis, une soupe de cacahuètes composée également de petits pois, de pommes de terre, de bœuf et de pâtes.

Le centre-ville, que je n’avais pas beaucoup vu jusqu’alors, était très agréable. La Plaza 14 de Septiembre était bordée de façades jaunes de type colonial, qu’elles concernent le gouvernement, le conseil municipal ou le commissariat de police. On pouvait même trouver un Café Paris dans un de ses coins.

De grandes rues parfaitement parallèles quadrillaient l’espace et quelques fresques habillaient les murs. Des vendeurs ambulants vendaient jus et pain.

Comme il s’agissait d’un des monuments les plus impressionnants de la ville, je suis allé visiter le couvent Santa Teresa fondé en 1753. Contrairement à auparavant, il était maintenant possible d’y pénétrer et d’admirer aussi bien l’architecture que le mode de vie des nonnes Carmélites.

En revanche, absolument aucun contact n’était possible avec elles : elles vivent coupées du monde extérieur. Pour les vivres, un guichet rotatif en bois permettait de procéder aux échanges sans pouvoir se voir ni se parler. Il était coutume à une époque, dans l’aristocratie coloniale, de dédier une de ses filles au monde religieux.

Le soir, après avoir retrouvé Lisa et d’autres personnes, nous avons vécu une soirée cochabambina beaucoup plus festive, entre un bar où la patronne fêtait son anniversaire et a offert le gâteau, un pub à la musique bien meilleure que ses cocktails et une boite où une barre de pompiers reliait astucieusement l’étage au sol.

La resaca qui devait s’en suivre le lendemain n’a pas été triste non plus, mais une nouvelle soupe de cacahuètes, décidément polyvalente, a permis d’adoucir l’atterrissage. Comme j’étais à côté, et également entêté, je suis allé vérifier une nouvelle fois s’il y avait une possibilité de rejoindre Sucre. Ce fut une autre désillusion. Il fallait trouver une autre destination.

En patientant jusqu’au soir, j’ai rejoint Lisa à la Plaza Colón, devant l’église d’El Hospicio très joliment décorée, puis nous sommes allés au parc Abraham Lincoln où ses amis s’étaient réunis. C’est aussi comme cela que j’ai pu goûter la traditionnelle chicha, boisson élaborée à base de maïs fermenté, et tester le trufi pour rentrer, qui n’était autre qu’un minivan que la population empruntait pour quelques blocs de rues, sur une route préétablie. Un colectivo, en somme.