Ambiance musicale : Inteligencia dormida – Pedropiedra

Aussitôt franchi le Paso de Jama, à quatre mille cent mètres d’altitude, je me suis retrouvé en Argentine, avec un nouveau tampon dans le passeport et quatre-vingt-dix jours d’autorisation d’errer sur le territoire.

J’avais vu quelques postes frontières auparavant, mais celui-ci revêtait un caractère particulier, par son isolement et son décor aux montagnes pelées. La route était sinueuse et passait entre monts et vallées.

En quittant le désert d’Atacama, nous avons retrouvé quelques touffes de verdure et vu les cactus tenter de se démocratiser sur les bords de la route, sans y parvenir complètement. Les premières maisons en adobe ont fait leur apparition à Susques.

Je savais que les Salinas Grandes allaient se dresser sur notre chemin. Ce désert de sel est situé sur les hauts plateaux de Jujuy et Salta et voit sa ressource exploitée aussi bien pour l’industrie que pour l’alimentaire. C’est un lieu fascinant, puisqu’une croûte de trente centimètres de sel recouvre le sol et le rend aveuglément blanc.

La suite du voyage s’est passée dans une gorge très impressionnante, la Cuesta del Lipan, avec une route à flanc de versant et toute en lacets, avant d’arriver à Purmamarca, connue pour son Cerro de los Siete Colores. Sachant que je pourrais y repasser en allant en direction du Nord, j’ai préféré continuer vers ma destination, que je n’avais toujours pas déterminée.

Le bus devait passer par Jujuy et terminer à Salta. Devant le peu d’enthousiasme qu’a soulevé la première, je suis resté sagement assis jusqu’au bout. A ma descente, j’ai tout de suite baigné dans l’ambiance argentine, avec des « che ! » à tout bout de phrase.

J’ai aussi fait un retour en Europe, en France tout d’abord, avec les nombreuses Renault dans la rue, certaines très vieilles, et le saucisson et le fromage sur lesquels j’ai craqué. J’ai aussi fait un bond en Italie, avec les nombreux scooters, les amourettes à tous les coins de rue et l’attitude machiste bien visible, les sifflets faisant partie intégrante des bruits de la ville.

Les gens, eux, se répartissaient en deux catégories, égales en nombre : d’un côté, des personnes blanches, plutôt fines et typées européennes, et de l’autre, des individus de type andin, descendants des indigènes de la puna, le haut plateau andin. J’étais sur une autre frontière qui ne portait pas de nom, mais qui démarquait le Sud et le Nord de cet endroit.

Mon petit tour nocturne m’a montré des rues animées, pleines de monde et des commerces ouverts tard, sans doute du fait de la large pause de début d’après-midi. Des spectacles de rue coexistaient avec un marché ambulant de bric-à-brac, puis la Plaza 9 de Julio s’est éteinte vers vingt-trois heures, ne laissant sur les bancs que quelques vendeurs de bracelets artisanaux et des couples disséminés.

Le lendemain matin, au petit déjeuner, j’ai redécouvert le dulce de leche et l’espagnol argentin, aux pronoms et conjugaisons différents du castillan.

« Y vos, de donde sos ? »

Pour un vendredi, j’étais impressionné du nombre de gens dans la rue. J’avais l’impression d’avoir plus chaud ici que dans le désert, et les nombreux orangers, dans les rues et sur la place principale, pourvoyaient un peu d’ombre bienvenue. L’architecture néocoloniale était très présente. De nombreux bureaux de tabac mettaient en avant la loterie locale.

Un autre sujet m’a vraiment interpellé. Les banques étaient très fréquentées, et les distributeurs vides après onze heures du matin. Les commerces préféraient allègrement les espèces à la carte bancaire, que ce soit pour payer des nuitées ou un ticket de bus, et on pouvait trouver des agents de change non officiels dans plusieurs rues.

Les organismes de prêts à la consommation pullulaient et le peso argentin avait perdu plus de la moitié de sa valeur depuis mes vacances de 2013, signe d’une inflation galopante. Tout ceci en disait long sur l’état de l’économie argentine et de son système financier.

Les completos étaient ici nommés panchos. Des vendeurs de popcorn quadrillaient la place centrale et vendaient également des humitas, une pâte de maïs assaisonnée et cuite à l’eau, enveloppée dans des feuilles de maïs. Des écoliers rejoignaient leur établissement, que ce soit en uniforme ou en blouse blanche.

La religion catholique était visuellement très présente, avec de nombreuses églises réparties dans les différents quartiers, toutes très colorées. Celle de San Francisco ne dérogeait pas la règle et un cours de morale avait lieu pour une classe de petits, quand je suis passé.

Après avoir choisi de ne pas aller au Train des nuages le lendemain, me rendant compte de son coût et du rassemblement touristique qu’il représentait, j’ai préféré prendre de la hauteur et grimper le chemin de croix du cerro San Bernardo, donnant à apprécier une vue panoramique de région, non sans rappeler celle de Grenoble, depuis la Bastille…