Ambiance cinématographique : Hunt for the wilderpeople – Taika Waititi

Que faire une fois à Westport ? Revenir légèrement sur mes pas, abandonner Quirin et prendre tranquillement la route pour Nelson, ou m’aventurer beaucoup plus loin, avec mon acolyte comme parrain de trek autonome, et repousser des limites connues ?

Lâcher ou tenter le grand saut, bien lesté par des sacs complets de plus de vingt-cinq kilos, alors que la première leçon du trek est d’ôter tout poids inutile ? Arriverons-nous à temps pour éviter la tempête tropicale qui s’annonce et ses dangers pour nous, sans compter le risque vis-à-vis de mon matériel électronique, qui devient soudain un boulet de taille ?

Quirin avait clairement l’habitude de l’autonomie, la fougue de ses vingt-et-un ans et un réchaud. J’avais l’expérience d’expéditions plus hasardeuses où le danger a pu l’emporter, et donc un grand respect pour des conditions naturelles intenses, une bonne connaissance de moi-même et une tente.

Le croupier était affirmatif : quelles que soient les cartes que nous avions en main, il allait falloir être all-in et avoir sacrément envie d’en découdre, ou quitter la table. C’était la mi-journée, les rues de Westport étaient désertes, comme si l’on retenait son souffle quant à notre décision…

Ou peut-être que je me faisais une montagne d’une randonnée dont le dénivelé n’est finalement pas extraordinaire, au vu du nombre de jours. Foncer tête baissée aurait été une erreur, m’infliger une pression excessive en était une autre.

Tout ceci restait cependant hypothétique, tant que nous n’avions pas réservé les hébergements nécessaires. Que nous appelions cela le destin ou autre chose, il y avait de la disponibilité dans les campings où nous envisagions de dormir, ce qui relevait de l’exception sur un Great Walk et mettait donc un terme à la réflexion.

Nous allions donc nous lancer sur les pas des premiers Maoris cherchant de la pounamu, du jade, et des prospecteurs d’or du XIXème siècle, en joignant deux routes sans issue, l’une sur la West Coast et l’autre dans la Golden Bay.

Les données de l’équation étaient les suivantes : quatre jours, trois nuits, soixante-dix-huit kilomètres et de zéro à neuf cents mètres d’altitude, et tout ceci devait démarrer le lendemain, à cent treize kilomètres de là.

Après avoir rempli les formalités et fait les courses en conséquence, nous avons redémarré, un local nous emmenant en stop jusqu’à Hector, avant qu’un couple espagnol-californien nous évite d’y passer la nuit, et nous fasse découvrir un camping de bord de mer, très loin de l’agitation touristique du sud et plein de bonnes intentions en matière de développement durable.

Pour sa situation, ses volontaires, son fonctionnement et son ambiance, il méritait amplement son classement de troisième meilleur camping du pays. En installant la tente, Quirin a reconnu la tente d’une connaissance de l’île du Nord, Stefan, photographe.

Après les présentations, nous avons convenu d’aller visiter une grotte remplie de vers luisants, Quirin et moi pouvant profiter de belles photos de sa part en lui servant de modèles pour la réalisation de ses idées artistiques.

Le lendemain, c’est la première voiture de Kiwis sortant du camping qui nous a ramassés, en route pour le Heaphy Track. Je sentais une différence dans les gens me prenant en stop depuis que nous avions atteint le nord-ouest de l’île du sud : j’étais habitué à côtoyer d’autres touristes en vacances et cela me manquait de pouvoir échanger avec des locaux, ou à défaut, des Néo-Zélandais.

Et en l’occurrence, ceux-là nous ont développé la préoccupation du pays pour la vie animale, en particulier celle des oiseaux natifs, cette dernière se faisant de plus en plus rare, expliquant les nombreux pièges à rats et autres possums, ainsi que l’usage controversé du 1080, puissant rodenticide aux effets indésirables.

Stefan nous avait parlé de ces enjeux la veille, en racontant qu’il convenait d’être très prudents en voiture et de ralentir pour tous les mammifères risquant de croiser la route, sauf les possums pour lesquels l’accélération et l’élimination du plus grand nombre pouvait déclencher une espèce de fierté locale, en en réduisant le nombre.

Après avoir roulé au milieu d’une brousse tropicale et humide, et vu des vaches brouter avec la mer en arrière-plan, nous avons finalement dépassé Karamea pour atteindre Kohaihai, lieu de départ de la randonnée dans le parc national de Kahurangi.

La journée s’est déroulée en bord de mer, en longeant les plages et admirant une mer assez forte. L’environnement était plutôt blanc, plat et couvert de nombreux palmiers. Pour Quirin, il n’en fallait pas plus pour décider de randonner pieds nus…

Ce premier jour a été une épreuve avec les sacs complets sur le dos, mais la baignade à l’arrivée, dans la rivière, a permis d’en effacer quelques traces. Près de la Heaphy Hut, les sandflies, petits insectes volants et se nourrissant de sang, n’avaient, eux, aucune pitié et étaient visiblement affamés. Après le repas, nous n’avons pas tardé à nous coucher malgré la lumière du jour encore présente, pour les éviter.

La journée suivante sonnait d’ores et déjà comme le défi à relever. La distance (trente-deux kilomètres), la totalité du dénivelé (huit cent cinquante mètres) et la durée de marche allaient forcément se faire sentir. Par chance, nous avons été accompagnés par un beau soleil et une bonne partie du parcours était abritée dans la forêt tropicale.

La fin s’est découverte et nous a offert un chemin au milieu des tussacks, ces grandes touffes d’herbe qui poussent dans les prairies humides. Depuis le camping de la Saxon Hut, nous pouvions enfin savourer, même si les épaules ont mis particulièrement longtemps à se détendre et les muscles, à se remettre des efforts consentis. Là encore, la baignade allait produire son effet.

Comme nous en avions fini avec les insectes et que la soirée était plutôt douce, nous nous sommes offert une petite séance cinéma. Quitte à porter tout mon attirail, autant en profiter. L’histoire de ce petit bonhomme néo-zélandais qui s’échappe avec son grand-père trappeur nous a laissé échapper quelques éclats de rire, inhabituels en plein milieu du bush, et sous un ciel qui s’obscurcissait à vue d’œil.

Après une nuit réparatrice et un lever de soleil sous un ciel pas si menaçant que ça, nous avons remballé nos affaires tranquillement, pour une journée qui s’annonçait beaucoup plus légère. L’objectif de cette portion se trouvait à dix-huit kilomètres, toute pression était donc inutile.

Une pause dans le premier gîte venu nous a autorisés à éviter l’averse qui venait de se déclarer. Le temps avait changé depuis le matin et rien n’annonçait un retour du soleil. En même temps, nous étions prévenus que ça allait arriver prochainement… Les oiseaux étaient, pour leur part, impassibles face à ce revirement.

Nous avons pris notre temps, et avons fini par déjeuner un peu plus loin. Le rythme de cette journée était plus calme. Sur le chemin, nous avons croisé le fameux poteau des chaussures perdues ou trop usées pour aller plus loin.

Alors que nous nous rapprochions de notre abri, nous avons fini par rencontrer une garde du parc. Nous en avions croisé un le premier jour, pour vérifier le paiement de notre camping, puis plus rien. Aujourd’hui, ce n’était pas tant la réservation qui l’intéressait que le fait de savoir si nous pouvions et voulions continuer plus loin.

« Si vous n’êtes pas trop fatigués, vous devriez aller jusqu’à la fin. Il va pleuvoir des cordes et je conseille à tous ceux que je croise de ne pas s’attarder ici ». Très bien, la situation paraissait limpide : le cyclone avait manifestement accéléré depuis la dernière fois que nous y avions prêté attention.

Il était quinze heure trente, il nous restait de nombreuses heures de lumière, et cela rajoutait tout de même plus de onze kilomètres au compteur, sans compter que nous étions encore à une heure de l’abri. Le temps devenait menaçant et la randonnée paraissait devenir plus monotone, en descente, et sans réelle vue.

Devant cette perspective peu réjouissante, nous avons opéré les changements nécessaires, et dévalé la montagne sur un rythme soutenu. Bien avant la nuit mais peu de temps avant la pluie, nous avons atteint la Brown Hut, synonyme de fin. Même si nous devions dormir à l’extérieur, nous avons profité de l’abri, sachant que nous serions les seuls cette nuit-là.

Bien nous en a pris puisque c’est une véritable tempête qui s’est abattue sur nous durant la nuit et jusqu’au matin. Une douche continue, sans connaitre de pause.

Après avoir commandé la navette, nous avons retrouvé la civilisation dès Collingwood, où l’estuaire venait de déborder pour inonder la route. Aussitôt sortis du parc national, la pluie a connu une trêve et nous a permis de découvrir une Golden Bay toute en verdure et en collines.

Takaka et son auberge à l’ambiance hippie bien sentie nous attendait, pour se reposer et reconstituer les forces que nous venions de laisser s’échapper. Nous avions réussi notre tour de force, nous pouvions savourer.