Ambiance musicale : Sweet soul music – Arthur Conley

Voilà une étape qui allait requérir un peu de chance, puisque le glacier Franz Josef se trouvait à un peu moins de trois cents kilomètres. Un peu d’ambition n’a jamais fait de mal à personne, mais je croisais tout de même les doigts dans mes poches.

Les trois heures suivantes allaient tester l’autostoppeur que j’étais en train de devenir, puisque malgré le bon vouloir de la mamie de Dunedin, du père de famille de Trinidad et Tobago et du voyageur indépendant de Californie, je n’avais parcouru que trente-huit kilomètres, avec des sauts de puces. Il était plus de midi, j’étais au milieu de nulle part, les voitures se faisaient rares et le soleil avait décidé de me frire.

Pour autant, je n’oubliais pas que je venais de passer à côté du très joli lac Hawea, voisin de celui Wanaka. Le paysage était assez beau pour me faire oublier les aléas, et je me permettais même quelques pas de danse pour faire passer le temps, ceux qu’il est possible de faire quand personne ne regarde !

 

Puis une voiture de format break a fini par s’arrêter. J’ai posé la question de la destination et le passager n’a pas répondu, tandis que le conducteur m’a timidement invité à monter à l’arrière (comme par malaise), si j’arrivais à me faire une petite place sur les sièges rabattus, au milieu de toutes les affaires éparpillées et des sacs. Je n’allais pas être complètement en règle avec le code la route néo-zélandais mais ça n’avait pas d’importance. No worries !

En commençant à discuter, j’ai vite compris la situation : je n’étais pas le seul auto-stoppeur dans la voiture ! Quirin, originaire de Bavière, avait été ramassé à Wanaka par Valdemar, pilote d’avion allemand en vacances ici, et vivant temporairement dans sa voiture. Je ne pouvais que saluer sa gentillesse.

Mais comme lors de trajets précédents, cela s’est avéré un vrai échange. Des bons plans et de la compagnie contre du transport, mais pas seulement. Comme j’avais entendu parler des Blue Pools et que nous n’étions pas pressés, nous avons fait un arrêt réglementaire, et sauté du pont suspendu dans les eaux bien fraiches.

 

Au moment de partir, chacun a repris sa place jusqu’à ce que nous croisions deux Argentines en train de tendre le pouce, à la sortie du parking. Dans l’esprit de Valdemar, cela n’a fait qu’un tour. Quoi qu’il en coûte, nous allions tous rentrer dans la voiture !

Après une partie de Tétris avec des sacs à dos, des glacières et des tentes, tout le monde a pris place dans la voiture, avec nos petites affaires sur les genoux. Une voiture, un conducteur et quatre auto-stoppeurs, et la plus grande simplicité de la part de notre hôte, sans arrière-pensées. Assurément, son karma a pris de l’avance ce jour-là…

Ainsi a commencé la longue et magnifique route tous ensemble, ponctuée de traversées de ponts à voie unique et d’arrêts divers et variés pour se dégourdir les jambes et immortaliser les paysages sur nos cartes mémoire. Après avoir atteint la mer de Tasman, nous avons poursuivi dans les terres, en direction de la partie septentrionale des Alpes du Sud.

 

 

Le glacier a fini par se dévoiler au loin, puis se rapprocher, jusqu’à surplomber le village dans lequel nous allions dormir. Parce que, « bien entendu », la journée ne pouvait pas se terminer chacun de notre côté…

Nous avons pris une chambre tous ensemble, et après avoir profité de la soupe de l’auberge et de son jacuzzi, nous avons entamé les bières que Valdemar venait de ramener. Nous avons terminé au bar local où, sommet de la gentillesse, notre conducteur utilisait la langue de Cervantès pour s’adresser aux deux Sud-Américaines.

 

Le lendemain, les filles ont continué en direction du nord, toujours avec Valdemar, pendant que Quirin et moi nous lancions pour la randonnée jusqu’au Roberts Point. De toutes mes rencontres d’auto-stop, notre pilote a incontestablement été une révélation. Un monument de bonté et de générosité.

Le parcours de la balade était assez intéressant et relativement différent des précédentes. Il était assez exigeant, du fait des pierres humides rendues très glissantes, et il testait continuellement notre équilibre. Après moins de deux heures d’efforts, nous avons atteint le point de vue privilégié, pendant que des hélicoptères faisaient d’incessants allers et retours au-dessus de nos têtes pour les touristes plus pressés.

 

De retour au village, fraichement douchés et avec un lourd fish & chips dans le ventre, nous avons repris la route, ramassé par un camping-car de Malaisiens, en courtes vacances après avoir travaillé presque trois mois ici et bien décidés à parcourir toute l’île du Sud, même si cela impliquait de rouler une grande part de la journée, sur leurs quelques jours restants.

Si le concept nous a laissés un peu perplexes, puisqu’il nous paraissait passer à côté de l’essentiel, nous avons largement profité de l’espace de vie du véhicule, jouant aux cartes une bonne partie du trajet. L’arrivée à Greymouth s’est faite sans artifices, tant la ville paraissait endormie.

Ce qui fut l’un des plus grands ports du pays, lors de la ruée vers l’or qui s’y produisit au milieu du XIXème siècle, a véritablement perdu de sa superbe, malgré sa grande participation au développement économique de la Nouvelle-Zélande, à travers son or, son charbon et son bois.

Pour nous, cela s’est simplement avéré un arrêt nocturne, où le propriétaire du camping nous a installés sur un terrain vague adjacent, à la tombée de la nuit, n’ayant plus de place sur son espace privé.

Ce qu’il avait omis de nous dire, avant de rentrer chez lui, c’est que le terrain n’était ni véritablement à lui, ni au voisin, et qu’il n’en fallut pas plus pour entrainer une intervention du garde forestier, suite à des plaintes du voisinage. On aime bien les touristes, mais uniquement s’ils ne font pas de camping sauvage.

Nous étions « en règle » mais au vu de l’absolue nécessité de gérer la situation, tant on nous faisait sentir qu’elle était problématique, nous avons fini par partager un espace déjà utilisé grâce au bon vouloir de ceux qui l’occupaient et rapatrier nos affaires, pour éviter tout problème avec la communauté.

Le lendemain, le propriétaire a pris la chose très à la légère. Nous ne nous sommes donc pas étendus plus que ça. Avant notre départ, il nous a tout de même soufflé l’idée d’une très belle randonnée à faire, plus au nord, et nous a assuré que nous pourrions la faire avant la tempête tropicale qui s’annonçait.

En la regardant de plus près, nous avons réalisé qu’il parlait du Heaphy Track, un Great Walk qui coupe l’extrémité nord de l’île et permet de rejoindre deux routes sans issue. Sans acter que nous la ferions ou non, comme de nombreuses contraintes restaient à gérer, nous avons continué notre chemin, toujours en stop.

Deux Australiennes en vacances dans le coin nous ont permis d’atteindre les Pancake Rocks de Punakaiki, phénomène naturel pas forcément bien expliqué par les spécialistes. S’il est évident qu’il implique de l’érosion par les vagues d’eau de mer, il ne répond pas à la question de l’empilement des formes arrondies de type calcaire.

 

Après une voiture pour Charleston, et deux autres pour rejoindre Westport, nous étions maintenant face à nous-mêmes et au choix de s’engager pour le trek de plusieurs jours. Repousser la décision n’était plus possible.