Ambiance musicale : La bicyclette – Yves Montand

Après l’entrée en matière insulaire, nous avons poursuivi notre parcours laotien en remontant le Mékong par la voie terrestre, jusqu’à atteindre Paksé. Cette ville est la capitale de la province de Champassak, territoire qui, avant d’être inclus dans le royaume du Laos en 1946, en était un à part entière.

Nous avons tout de suite senti que la ville était importante économiquement, ne serait-ce que par le nombre de véhicules récents (des quatre roues motrices rutilants). Mais c’est la grande boucle à moto qui nous intéressait ici.

Nous nous sommes donc lancés avec Mara, Italienne rencontrée au moment du passage de frontière, après avoir noté avec précision les informations du loueur de motos. La Honda Wave 100 cc serait notre monture pour les quelques jours à venir, mais il fallait d’abord la dompter. Quelques tours du pâté de maisons nous ont permis de nous familiariser avec la boite de vitesses semi-automatique.

En chemin, j’ai été surpris de voir autant de gens habillés en maillots de foot. De nombreuses équipes européennes étaient représentées. De grands sourires nous étaient souvent adressés, spontanément accompagnés de « Hello ! Sabaïdee ! » et de grands gestes de la main : nous étions les bienvenus, dans cette zone où nous avons parfois traversé des villages assez reculés.

Sur la route, nous croisions d’autres véhicules, bien entendu, mais aussi des animaux, les vaches, poules et autres chiens étant toujours prompts à traverser au moment que l’on pensait le moins approprié. Comme nous n’étions pas dans une course de vitesse, la cohabitation s’est plutôt bien passée.

 

Dans les villages, la plupart des maisons étaient à étage et élevées du sol par des pilotis. Entre les localités, c’est une végétation luxuriante qui nous servait de décor, très verte et humide.

 

Un de nos premiers arrêts nous a permis de visiter la plantation de café de monsieur Vieng. Nous avons pu découvrir trois différentes sortes de grain (arabica, robusta et libérica) et leurs caractéristiques propres (altitude, dates de récolte).

Après avoir été cueilli quand il est mûr (donc rouge), le fruit du caféier est séché pendant dix jours pour le débarrasser de son enveloppe de chair. Le grain de café dispose d’une seconde peau qu’il faut également enlever et qui est valorisée comme combustible. Le café « vert » est ensuite prêt à être torréfié, c’est-à-dire chauffé à plus de deux cents degrés pendant quelques minutes, avant d’être moulu pour être consommé.

 

Après avoir été rejoint par Hussein, durant notre pause, nous avons attaqué notre tour des cascades du plateau. La première, Tad Soung, était accessible au prix de quelques efforts particulièrement glissants. Son mince filet d’eau se jetait dans le vide sans qu’on puisse déterminer son arrivée.

Les suivantes, celles de Tad Lo, étaient le lieu prisé de quelques pêcheurs locaux et constituaient un excellent lieu pour passer la nuit.

 

La journée s’est terminée avec une courte baignade, l’appel de l’eau étant plus fort que le doute induit par sa couleur troublée. Nous étions dorénavant quatre, avec l’arrivée de Mikel, et le partage des bungalows doubles s’est joué à la courte paille.

Nous avons commencé le jour suivant avec la visite de Kok Phoung Tai, village tribal, et la rencontre du loquace monsieur Hook. Il était la seule personne ayant fait des études et parlant l’anglais, et organisait des rencontres afin de récolter des fonds et préserver l’endroit. Ses terres étaient recouvertes des cultures typiques du coin, à savoir le café et le manioc. Les cacahuètes complétaient le trio et apportaient leur touche d’exotisme et leur lot de surprise : je n’aurais jamais pensé qu’elles poussaient sous terre…

 

Que ce soit nous ou les habitants du village, nous vivions définitivement dans des mondes différents. Dans le leur, il ne fait aucun doute que la Terre est plate. Les hommes ont l’opportunité de se marier avec plusieurs femmes, et ces dernières peuvent être « conquises » dès l’âge de neuf ans. Fumer sur de larges bangs en bambou est une activité très appréciée, que l’on pratique à partir de trois ans.

 

On ne consomme pas de médicaments ici : ce serait remettre en cause une structure hiérarchique bien établie et tout un système de croyances. Le chaman est le premier interlocuteur pour les sujets de santé, et le gourou n’intervient qu’en dernier ressort, en établissant le lien avec les esprits.

Après ce choc des cultures, nous avons repris la route et nous sommes retrouvés à trois motos, Hussein préférant poursuivre sur la petite boucle. Sékong était encore à plusieurs heures de route mais nous avons réussi à fuir l’orage menaçant. Nous y avons trouvé une forte influence vietnamienne, comme plus loin à Paksong, trahie par l’orthographe des noms de restaurants ou d’hôtels, même si celle-ci s’affichait en gros sur les enseignes sponsorisés par la bière locale Beerlao.

Les deux derniers jours nous ont offert des paysages de cascades enchanteurs. L’attente était maximale pour Tad Tayicseua, supposée être la plus belle du trajet et nous n’avons pas été déçus. Les chemins pour la rejoindre n’étaient pas aussi compliqués que ce qu’on nous avait dit, ce qui a entrainé une double satisfaction.

 

Tad Yuang et Tad Fane nous ont laissé pensifs, la première avec son enchainement de bassins et la deuxième avec la hauteur de son plongeon dans la gorge. Les nuages de son micro-climat savaient rendre la chute spéciale, complètement invisible quelques secondes après en avoir laissé apprécier les contours.

 

La route pour Tad Champee étant impraticable, nous avons préféré laisser nos motos au sec, près de l’axe routier principal, pour la rejoindre. Au moment de repartir, un groupe de jeunes moines profitait également des lieux et nous a offert de nous ramener. C’est entre les nombreuses secousses du camion et les incompréhensions de langage que nous avons tenté d’échanger.

 

Il était temps de rentrer à Paksé après ces trois cent soixante kilomètres de découvertes de territoire. Des marchands et des artisans avaient pris possession des accotements, vendant des fruits (ananas, durian, fruit du jacquier) ou celui de leur travail de forgeron.

 

C’est à trois kilomètres de l’arrivée que l’expérience de la boucle est devenue complète : une mauvaise crevaison a imposé un arrêt aux stands, sans me faire sortir du chemin tracé. La chance a fait que les garagistes étaient nombreux à l’entrée de la ville : j’ai pu repartir avec une nouvelle chambre à air, quelques minutes plus tard et pour un tarif défiant toute concurrence occidentale.