Ambiance musicale : El baño – Enrique Iglesias feat. Bad Bunny
Nous avons embarqué dans l’avion en tongs, par une chaleur accablante, à Leticia, pour nous retrouver quelques heures plus tard à Medellín, de nuit, à mille cinq cents mètres d’altitude. Le choc fut assez important, aussi bien en termes de température que d’urbanisme.
Nous retrouvions une grande ville après des semaines de ruralité et allions découvrir un nouveau pays, et avec lui, un nouvel argot. Nous étions relativement excités d’être en Colombie puisque nous allions pouvoir confronter les clichés colportés sur cette région du monde avec la réalité.
Medellín est la capitale d’Antioquia, un des départements du pays, et la deuxième ville après Bogota. Des années 1970 au début des années 1990, elle fut le centre opérationnel du cartel du même nom, avec le baron de la drogue Pablo Escobar à sa tête, qui fut un des hommes les plus riches de la planète.
A ce titre, elle fut le théâtre d’un lot considérable de violence et d’une mainmise des narcotrafiquants sur la politique locale, à grand renfort de menaces ou de corruption : plata o plomo. La ville a aussi subi les conséquences du conflit armé colombien, qui oppose toujours des guérillas communistes révolutionnaires, des groupes paramilitaires de droite et l’armée et la police nationales.
Aujourd’hui, la ville et ses habitants ont retrouvé une quiétude plus appropriée au tourisme. Nous nous sommes installés dans le quartier de Florida Nueva, où la grande rue regorgeait de bars à salsa. Les gens nous ont paru instantanément très aimables, nous étions le vendredi soir et l’heure était à la fête, la rumba.
Le lendemain, nous avons pris le métro, dans cette ville qui nous paraissait tout à coup énorme, et nous sommes rendus sur le cerro Nutibara, où nous avons pu l’observer en hauteur, avec ses innombrables tours, et réaliser que nous étions dans une grande vallée.
Nous avons également visité le Pueblito Paisa, reconstitution d’un petit village traditionnel d’Antioquia avec son architecture coloniale, sans oublier les petits vendeurs d’artisanat.
Les restaurants du coin nous attiraient avec des plats typiques comme la bandeja paisa, une assiette plus que complète comprenant riz, haricots rouges, banane plantain, maïs, œuf au plat, avocat, chorizo, bœuf et porc ! Les serveurs savaient se rendre disponibles et disposaient d’un bon sens du commerce, répétant ostensiblement « a la orden ».
Nous avons ensuite pris la direction de Comuna 13, un ancien quartier bidonville ultra dangereux qui a su renaitre de ses cendres, grâce aux initiatives de la jeunesse, du mouvement hip-hop et des investissements de la ville.
Cette zone a eu le malheur d’être stratégique, puisque c’était une porte d’entrée et de sortie vers la région d’Uraba, sur la route de la cocaïne, et les guérillas communistes en ont pris le contrôle. Cependant, les groupes paramilitaires et les bandes armées liées au narcotrafic n’ont pas abandonné la partie et cela a donné lieu à une violence et une anarchie maximales.
En 2002, le gouvernement est intervenu et la commune a fait l’objet d’une opération militaire, où la population a connu une véritable guerre urbaine. Le contrôle a été repris, mais une fois que l’armée s’est retirée, ce sont les groupes paramilitaires qui ont exercé la terreur et la répression, en punissant tous les civils soupçonnés d’avoir soutenu les guérillas.
Il a fallu attendre la fin des années 2000 pour voir le quartier s’apaiser. Parallèlement, la ville a investi et développé des solutions pour rompre l’isolement de ses habitants et transformer leur vie positivement, avec les escaliers électriques pour affronter le dénivelé et le Metrocable pour relier ces quartiers déshérités au centre-ville.
Aujourd’hui, les habitants se sont réapproprié leur quartier et le transforment jour après jour pour dépasser les évènements historiques tragiques. L’art et la culture de la rue se sont développés et sont très visibles, à travers le rap, les DJ, les démonstrations de breakdance et les graffitis.
C’est aussi ce qui motive énormément de touristes à venir visiter cet endroit, bien que certains ne saisissent malheureusement pas le message de résilience de cette zone et n’y voient qu’un ensemble de fresques murales.
Pour ne pas tomber dans cet accroc, nous avons tenu à visiter le coin en petit groupe, pour être le plus discret possible, et avec des artistes habitant ici, nous assurant ainsi que le produit de la visite revenait aux personnes concernées.
Là encore, ce n’était pas le cas de tout le monde, et je ne pouvais m’empêcher de penser aux habitants qui voyaient des flots continus de gens aisés venir se balader sous leur balcon, sirotant un guarapo, le délicieux et désaltérant moût extrait de la canne à sucre, acheté chez la voisine et prenant en photo leur habitat.
Cette situation générait en moi un sentiment ambivalent car je n’imaginais pas que les quelques pesos, laissés à gauche pour une glace et à droite pour un souvenir, arrivaient à combler le désagrément occasionné. Et pourtant, ils assuraient la renaissance du quartier et un revenu aux commerçants. Délicate équation…
Dans tous les cas, ces Colombiens manifestaient une capacité de régénération très importante et portaient un message plein d’espoir et d’avenir, après les exactions subies.
Nous avons terminé la journée avec une autre soirée sur l’avenue, avec peu de choix de menu, se contentant de salchipapas. Et pour la deuxième fois, en deux soirs, nous avons dû admettre que beaucoup de femmes arboraient des formes impressionnantes, certaines par leur volume et d’autres, par le défi qu’elles proposaient à la gravité.
Nos six yeux masculins ne pouvaient s’y tromper : sans intervention externe, ou « triche » avec des rembourrages, cela n’était physiquement pas possible. En rentrant à l’auberge, on nous a expliqué que la chirurgie esthétique n’était vraiment pas un tabou ici, pouvant même être réalisée très jeune.
On nous a même avancé que cela s’était beaucoup développé au temps des cartels, où les femmes de trafiquants faisaient tout pour le rester, à force d’arguments solides.
Nous avons dormi là-dessus puis avons rejoint le parc Arvi le lendemain, pour une journée qui s’annonçait pittoresque. Nous y avons quasiment passé la journée, entre le temps pour y aller et le nombre de parcours possibles, retraçant la géologie, la faune ou la flore du lieu.
C’était assez inhabituel pour nous de prendre un métro suivi d’un téléphérique pour atteindre un parc forestier, mais cela traduisait bien la géographie de la ville et ses formes. Cela offrait surtout des espaces verts naturels à ses habitants, dans une ville qui en manquait terriblement.
De retour, nous avons changé d’auberge pour tester un autre endroit. Je me suis retrouvé dans le dortoir avec une personne qui se présentait comme le premier chanteur queer de Colombie, sans me poser la question de la véracité de ses propos, et nous avons passé un bon moment à rigoler, sous l’effet de ce qu’il fumait.
Le jour d’après, le début de matinée a été calme puis nous avons rejoint le centre et la place Botero, du nom de Fernando Botero, peintre et sculpteur natif de Medellín, toujours vivant et célèbre à travers le monde pour les formes rondes et voluptueuses qu’il donne à ses personnages.
Cet artiste est très populaire en Colombie pour sa bonté et sa défense de la culture nationale, et généreux, puisqu’il voulait offrir l’art à tous au moment où la violence était à son paroxysme. C’est aussi pour cela qu’il a donné une grande partie de ses œuvres à la ville, pour les exposer sur la place ou dans le musée d’Antioquia.
C’est d’ailleurs dans ce musée que nous avons poursuivi et parcouru une grande partie des peintures. Nous avons aussi trouvé la escopetarra, mélange de fusil et de guitare, créée par César López pour transformer les armes des conflits, causes de tant de blessures, en instruments de vie et de créativité.
Nous avons ensuite terminé notre journée à El Poblado, quartier plus aisé que les précédents visités et prisé par les expatriés pour ses conditions de vie et sa vie nocturne. Il s’agissait de nos dernières bières et de notre dernier repas, avec Victor et Vincent.
Le temps tournait et je voulais continuer ma découverte du pays, qui s’annonçait déjà plus que réduite. J’ai donc repris mon sac et pris un taxi pour rejoindre la gare routière, malgré la relative proximité de celle-ci avec l’auberge.
Les propriétaires n’étaient pas tranquilles de me laisser partir à pied et de nuit, et avec les connaissances historiques que j’avais rattrapées ici, je ne pouvais que leur faire confiance.
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