Yogui autour du monde

Valparaiso : port, bohème et couleurs

Ambiance musicale : Latinoamérica – Calle 13

Après avoir tenté et réussi à trouver un Couchsurfing pour Valparaiso, j’ai repris mon sac à dos et quitté Santiago, avec mon bout de papier indiquant « Valpo » et mon ambition de parcourir les cent vingt kilomètres en autostop.

Installé à proximité de l’autoroute du Pacifique, c’est tout d’abord Rodrigo et son père qui m’ont ramassé, avec leur camion. Je n’avais pas bien saisi leur destination, mais ils me permettaient de réellement sortir de la ville, ce qui est toujours le plus délicat.

A la station-service, c’est un père et son fils qui m’ont ramassé. Ils allaient faire du lèche-vitrines à la journée et ont décidé de m’emmener. Entre deux discussions, ils m’ont confirmé que le Chili est l’un des pays les plus sismiques au monde, et qu’il me restait encore beaucoup de nourriture chilienne à tester, à commencer par la chorrillana, « subtile » mets de pommes de terre frites recouvertes de viande et d’oignons, quand ne s’ajoute pas également un œuf cuit au plat par-dessus.

Pour ma deuxième expérience avec le site de mise en relation, je suis tombé sur Melina et son grand appartement en plein centre, partagé à cinq personnes, dont des étudiants, de jeunes travailleurs et des artistes. Mon hôte, qui était seulement venue m’accueillir et me laisser les clés, est repartie aussitôt et m’a laissé avec Joaquin, alias Coco, et ses amis, en plein repas. Le charquicán, ragoût de pommes de terre, haricots et maïs, était à l’honneur.

Armé de mon appareil photo (mais sans trop le montrer), je suis allé me promener l’après-midi dans les deux cerros juste au-dessus : Bellavista et Carcel. Les cerros sont la quarantaine de collines qui surplombent la vieille ville et le port, parfois accessibles par des ascenseurs ou des funiculaires.

Ce sont des lieux d’habitation, et chacun a son ambiance de quartier et ses caractéristiques sociales propres et fortes, ainsi que sa palette de couleurs. En revanche, il y a un point commun que j’ai pu observer : plus je m’élevais sur ces collines et plus l’environnement se faisait modeste, populaire et laissait entendre qu’il ne fallait pas s’y attarder en tant que touriste.

La vue entre la maison de Pablo Neruda, la Sebastiana, et l’ancienne prison était incroyable, donnant un perchoir sur la ville et laissant l’œil se perdre dans l’océan Pacifique à l’horizon. Mais le spectacle était aussi dans la rue, avec des créations artistiques qui recouvraient fréquemment les murs et les tôles des maisons.

De retour, nous sommes allés manger au restaurant avec Meli, puis elle et ses amis m’ont fait découvrir deux véritables institutions, avec le Canario, minuscule bar associatif où de nombreux groupes se succédaient pour jouer au milieu des habitués, et le Liberty, deuxième phare du port et plus ancien bar de la ville, repaire d’amoureux de cueca et de borgoña.

J’étais au cœur de la bohemia porteña, avec des artistes de la guitare, à la voix qui porte, et qui s’alimentaient des applaudissements de rythme que nous produisions. Les gens autour de moi perdaient la notion du temps, et dansaient en couple, agitant leur pañuelo et se lançant sourires et regards de séduction.

Le lendemain, j’ai rejoint Sixtine et Lucie, que j’avais rencontrées précédemment, pour une visite guidée des cerros Alegre et Concepción avec Valp’Otop. Si l’idée ne m’emballait guère au début, nous avons très vite été récompensés de notre choix, tant le Chili, Valpo et tout cet art graphique méritait des explications, et une prise de conscience.

La visite ne s’est pas limitée à nous montrer les meilleures pièces d’art de rue dans les endroits les plus touristiques de la ville. Même s’il est intéressant de discerner un tag, un graffiti et une fresque murale, ou de savoir reconnaitre la patte d’artistes comme Inti, Anis, UnKolorDistinto ou Mr Papillon, ce sont les faits et les anecdotes dispensés qui m’ont ouvert les yeux sur la réalité locale.

Si la ville est colorée, à l’instar d’autres ports mondiaux, c’est parce que l’on utilisait la peinture des bateaux, abondante, pour faire sa propre décoration. Quant à l’art urbain, c’est plutôt une manifestation de la rébellion contre le couvre-feu de l’époque de la dictature militaire.

Ce port a perdu de sa superbe au moment de l’ouverture du canal de Panama, en 1914, quand les bateaux n’étaient plus obligés de franchir le cap Horn et remonter les côtes Atlantique ou Pacifique. Cela a également été le cas après la privatisation des côtes chiliennes par les différents gouvernements, ceux-ci vendant l’exploitation de la pêche à de grosses entreprises étrangères.

Cet élan de néolibéralisme, je m’en étais rendu compte, avec les parcs naturels que j’avais visités, privés. Mais les Chicago Boys ne se sont pas arrêtés là : les coupes drastiques dans les budgets sociaux, qu’ils concernent l’éducation, la retraite ou la santé, ont créé d’importantes inégalités qui n’ont cessé de croitre, les classes aisées profitant de l’expansion économique et les classes populaires se contentant des miettes.

Le centre historique de Valparaiso a été déclaré Patrimoine culturel de l’humanité par l’UNESCO en 2003, ce qui a été bénéfique sur le plan touristique et donc économique mais qui entraine aussi l’impossibilité de modifier ou réparer un bâtiment qui viendrait à être détruit ou fragilisé par un des nombreux séismes qui frappent la région.

C’est la même chose en cas de feux, qui s’avèrent particulièrement destructeurs, par le côté exigu et difficile d’accès, la promiscuité des maisons et le fait que les pompiers ne sont pas des professionnels de l’Etat mais des volontaires qui agissent avec peu de moyens, en plus de leur travail quotidien.

D’un point de vue politique et national, j’ai été choqué d’apprendre que la Constitution en vigueur est celle datant de 1980, décidée et mise en place sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Même si celle-ci a été modifiée plusieurs fois pour limiter le pouvoir donné aux militaires, elle reste décriée pour son manque de droits octroyés aux citoyens.

Pour exemples, il arrive que des manifestations soient durement réprimées, avec des tirs dans la foule et des morts, qu’il s’agisse d’étudiants ou de travailleurs. Le droit à l’avortement, de son côté, n’est pas une réalité.

Après cette après-midi studieuse, nous avons rejoint l’auberge Voyage, où résidaient les filles, pour une soirée mêlant vin et repas partagé. Emportés dans notre élan, c’est au Woo que nous avons terminé journée et nuit, sur du reggaeton beaucoup moins folklorique que ce que j’étais en train de découvrir dans cette ville. Par pur hasard, j’ai retrouvé Meli dans la rue avec ses copines, de retour après cette nuit de fête, et nous sommes rentrés ensemble à pied.

Le lendemain, je ne pouvais que remercier mon hôte pour l’accueil chaleureux, la confiance qu’elle m’avait témoigné en me laissant aller et venir et surtout le riche échange qui avait eu lieu. Je m’en allais avec Onda Vaga dans les oreilles, honoré de ce partage, et content également de rejoindre l’auberge tant vantée par les filles. Une autre aventure pouvait commencer, comme une colocation de courte durée…

Le soleil aidant, nous sommes allés à la plage de Concon, sur le rythme effréné du micro dans lequel nous avions pris place, ce genre de minibus assurant des lignes régulières que d’autres appellent un colectivo. Mais ici, les conducteurs me donnaient véritablement l’impression d’être fous et semblaient se délecter de nous voir crispés à l’arrière, accrochés à notre siège.

Viña del Mar s’est dressée sur notre route et nous l’avons évitée sans regret, tant elle nous paraissait aux antipodes de Valparaiso, avec ces immeubles bétonnés de bord de mer, son casino et sa classe aisée. L’océan était plus attirant, bien que particulièrement froid, et le vent rendait le lieu approprié aux sports de mer.

Dimanche, je me suis rendu à Caleta Portales, où se tient un marché de poisson qui réunit un collectif de pêcheurs, des « nettoyeurs » en charge de la préparation et du vidage des bêtes, des lions de mer, des pélicans, des goélands et autres mouettes.

C’était sans aucun doute le meilleur endroit pour déguster quelques ceviches, des coquilles Saint-Jacques crues, une empanada à la crevette et se laisser aller à une sieste sur la plage, en dessert. La semaine était quasiment terminée…

Mais le soir, tous les voyageurs se sont préparés pour une tradition qu’il ne fallait apparemment pas louper, et que le personnel de l’auberge, majoritairement des Argentins de passage, mettait un point d’honneur à faire découvrir : la Isla de la Fantasia. On en avait entendu parler, on allait maintenant le vivre !

Et quels instants… Il faut imaginer une guinguette, modestement installée et partiellement recouverte de bâches, sans vie en journée, mais qui devenait follement festive à ce moment, où la borgoña et la bière coulaient à flots, où les gens, grands et plus âgés, se mêlaient pour discuter, boire, fumer, écouter la musique et danser…

Les mots auront du mal à retranscrire l’ambiance : c’est une atmosphère qui m’a paru unique, avec un groupe, une mascotte qui déclare ouverte la poussiéreuse piste de danse après un petit rituel, des gens qui s’adonnent à la cueca et une fête qui se poursuit plus tard, sans sonorisation, sous nos yeux et oreilles admiratifs.

Bien entendu, la fête s’est poursuivie à l’auberge, sur fond de cumbia de Chico Trujillo et de carmenere chilien, entre pas de rock de ma professeur Sixtine et quelques tentatives pour produire quelque chose de musical avec la güira ou le bâton de pluie.

Suite à cela, le lundi pouvait difficilement commencer avec autre chose qu’une resaca, une gueule de bois, aux accents taniques. Nous avons quand même pu nous arracher à la gravité des canapés pour une promenade aérienne jusqu’au cerro Artilleria, balade qui a pu occasionner de légères craintes après qu’une personne nous ait déconseillé de trainer dans le coin et proposé quelques pesos pour prendre le bus.

Le soir, je fus encore impressionné par le programme de l’auberge, une cena familiar, où tout le monde avait joué le jeu. Chacun avait préparé son plat avec attention et l’avait mis en commun, permettant ainsi de goûter à un beau mélange, en terminant le vin de la veille.

Je sentais que j’étais vraiment bien ici, dans cet endroit, avec ces personnes, mais que j’avais encore de belles choses à voir ailleurs. Cette expérience était magnifique, unique, et j’avais l’impression d’avoir fait le plein d’émotions, de sensations, de découvertes, d’avoir touché du doigt la bohème de Valpo.

J’ai donc décidé le lendemain, en me promenant une dernière fois dans ce musée d’art de rue à ciel ouvert, de prendre mon ticket de bus pour La Serena et continuer au Nord. Après une dernière soirée, à regarder des courts-métrages dont chacun avait donné une idée, et des adieux difficiles, j’ai repris mon sac et continué la route, avec la confirmation de mon envie de créer une auberge de jeunesse, plus tard, à mon retour. J’avais ici un exemple parfait…

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  1. Estève

    En cette époque de confinement, de superbes photos qui font rêver… 🤙

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