Ambiance musicale : De camino a la vereda – Buena Vista Social Club
Après cet interlude sablonné, je pouvais, cette fois, sereinement rejoindre Santiago du Chili, à quelques heures de trajet de là.
Comme le veut la chaleureuse tradition locale, dès que l’on passe une nuit ou deux dans une maison et après avoir établi un début de relation cordiale, c’est avec un abrazo et des besitos que nous nous sommes salués.
Dans le bus, au-delà du nom du conducteur et des informations de vitesse qui défilaient (dans un but que je n’ai pas saisi), ce sont les figues de barbarie et l’arrivée au bord de la Cordillère des Andes qui m’ont marqué.
C’était quelque peu bizarre de retourner dans une grande ville, au format étendu, après quelques semaines en environnement plutôt rural. Ce sont plus de cinq millions de Santiagois qui vivent dans l’agglomération et cette ville moderne est une véritable métropole culturelle, politique et financière.
Le style colonial est très présent dans le centre et mon auberge ne dénotait pas : l’immeuble du Portal de Sierra Bella, sur le côté sud de la Plaza de Armas, hébergeait des habitations, accessibles après une grande entrée gardée, au milieu d’immenses couloirs et d’enfants qui jouaient sur les paliers, et sous le regard de vieux liftiers, en charge de l’arrivée au bon étage des utilisateurs des ascenseurs d’un autre temps.
Vue du balcon, la journée se terminait calmement, la lumière baissait et les services de la ville nettoyaient la place avec de grandes feuilles de palmiers. Sur les conseils d’Eduardo, je suis allé manger un curry vert, lointain souvenir de mon passage en Thaïlande et entorse à mon habitude de manger local.
Mais comme j’avais encore faim, un completo a servi de dessert et Oscan, mon voisin de comptoir de rue, m’a parlé de sa vie et fait remarquer quelques prostituées qui faisaient des allées et venues sur la place, pour rejoindre leur nid, dans mon bâtiment colonial.
Le lendemain et les jours suivants, la température fut très agréable, la ville étant bercée par un grand soleil d’automne. De nombreux carabiniers patrouillaient sur la place centrale et voulaient garder le contrôle de la zone, qu’ils avaient reprise après le coup de filet anti-drogue des dernières semaines.
J’ai donc déambulé de la cathédrale, au style néoclassique bien trempé, tranchant avec la tour moderne et vitrée la jouxtant, jusqu’au Mercado Central, où les vendeurs de poisson et légumes côtoyaient des restaurateurs aux souliers bien cirés.
J’ai poursuivi avec le Parque Forestal, petite enclave verdoyante qui abrite le Musée des Beaux-Arts, ses statues, ses peintures, et dans lequel je me suis attardé sur l’exposition photos en lien avec les Mapuches.
En traversant la rivière, j’ai commencé à croiser de nombreux étudiants, allant et venant dans leur quartier très coloré, Bellavista, aux boites de nuit et pubs du nom de diverses universités américaines, comme Oxford, Harvard, Boston.
La Chascona, une des maisons du célèbre poète chilien Pablo Neruda, prix Nobel de littérature, trône fièrement dans le coin, mais j’estimai que son prix était trop élevé pour la visiter. J’ai préféré monter sur la colline San Cristobal, terminant mon ascension par un chemin de croix et une vue panoramique, rappelant la situation encaissée de la ville et sa proximité avec les sommets.
La journée s’est achevée avec une autre colline, celle de Santa Lucia. De nombreux couples s’embrassaient, s’enlaçaient, assis ou couchés dans les recoins de pelouse, sous les yeux de Pedro de Valdivia, fondateur de la ville. Les derniers rayons lumineux leur assuraient une plus grande discrétion…
Le lendemain, j’ai plongé dans l’histoire du Chili à travers différents monuments, comme celui de la Poste, le Musée National d’Histoire, dans l’ancien Palais de la Real Audiencia, ou encore le palais présidentiel de la Moneda.
Histoire lointaine mouvementée, où les désirs d’indépendance se sont manifestés après celle américaine et ont été facilités par les guerres napoléoniennes en Europe, qui ont laissé moins d’attention et plus de souplesse pour les pays conquis. Ceux-ci ont profité de la situation avec des figures emblématiques comme Bernardo O’Higgins au Chili, José de San Martin en Argentine ou Simon Bolivar dans les pays septentrionaux de l’Amérique du Sud.
C’était il y a tout juste deux cents ans.
Une autre histoire, plus récente, concerne Salvador Allende et le début des années soixante-dix. Il fut le premier président marxiste élu dans un état de droit. Son programme, « la vía chilena al socialismo », prévoyait d’instaurer le socialisme par la voie démocratique, « avec un gout d’empanadas et de vin rouge ».
Les Etats-Unis, en pleine Guerre froide, ne voyaient pas d’un bon œil l’installation de ce régime politique si près d’eux, surtout après leur échec à contenir celui castriste de Cuba. Cette menace a donc été annihilée par le coup d’Etat du général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, appuyé par les premiers, et laissant place à une dictature militaire de seize ans.
A cette occasion, le palais présidentiel a été bombardé et l’ancien président a été retrouvé mort, suicidé selon la plupart des sources. Cette date est aujourd’hui appréciée par certains comme un autre 11 septembre de l’histoire…
Heureusement, le quotidien paraissait maintenant plus léger, avec ses citadins pressés, ses vendeurs de rue décontractés et ses écolières en uniforme. La Bibliothèque nationale semblait tout de même vouloir rappeler à ses concitoyens, avec son exposition, la volonté, le pouvoir et le devoir d’être et de rester libres.
Laisser un commentaire