Ambiance musicale : Petit pays – Cesaria Evora

Profiter de Takaka et de son auberge s’est avéré relativement évident. D’une part, la pluie nous empêchait de profiter des alentours, et d’un autre côté, nous préférions profiter du confort de la salle commune, avec ses fauteuils et le spectacle de Louis CK, sa table de ping-pong ou encore son billard.

Nous avons aussi modifié notre comportement alimentaire de ces derniers jours, passant des barres de céréales et des pâtes du diner aux cookies, au barbecue et au vin de cette belle région. Reconstituer nos forces en consommant les produits locaux était notre credo.

Une fois en pleine forme, nous avons repris la route, avec Nelson comme objectif. Tout le monde évoquait le parc national d’Abel Tasman et son Great Walk comme des immanquables, mais ni Quirin ni moi n’éprouvions d’intérêt pour cela, après notre aventure dans le calme des tussacks.

J’avais eu ma dose de côtes grandioses en Australie, et sans dire que cela devait ressembler, je me sentais totalement à l’aise avec le fait de la manquer. Si j’avais été ici au début de mon voyage, j’aurais sans doute forcé la chose. Mais j’ai compris que les plages de sable ne sont pas ce qui me fait vibrer : à croire que j’ai grandi et que j’ai appris à m’écouter.

Notre premier van a été celui d’un couple franco-allemand en permis vacances-travail. Ils s’étaient rencontrés près de Christchurch et faisaient maintenant un bout de chemin ensemble. Quirin pouvait parler sa langue avec le mec et moi, le français, avec la fille. Une petite pause, assis à l’arrière sur le plancher, entre banquette et livres, et nourris aux abricots délicieux que la région produisait.

Le paysage jusqu’à Motueka était très agréable et dévoilait une eau à la couleur précieuse. N’étant pas pressés, nous avons fait notre pause-déjeuner au bord de l’eau et laissé s’échapper notre moyen de locomotion.

 

La prochaine personne à nous ramasser était Samoan, et en apprentissage pour devenir pilote d’avion, sans but commercial. Un long parcours, qui nécessitait une réelle passion et un engagement sur deux ans.

Derrière le volant, il a voulu se rapprocher de la côte avant de rejoindre sa destination, Richmond, et ainsi voir les dégâts de la tempête, mais cela n’a pas été possible, la route étant coupée. Cela donnait une bonne idée de ce qui avait pu se produire ici.

Arrivés à Nelson grâce à un dernier véhicule, nous avons constaté cela de façon bien plus visuelle. Un bar sur pilotis, a priori bien fréquenté par les locaux, était fermé et avait été totalement inondé, les vagues venant briser tout l’intérieur. Des branches et de nombreux détritus jonchaient les bords de plages et de route, même si un premier nettoyage avait eu lieu.

En atteignant cette ville, la plus vieille de l’île du Sud, fondée par un décret royal en raison de la présence d’une cathédrale, nous savions que notre route ensemble se terminait. Les sirènes du kitesurf appelaient Quirin tandis que mon idée était de continuer et passer ensuite sur l’île du Nord.

Nous n’avions donc pas d’autre choix que de nous séparer sur une bonne note, ambrée et à base de beaucoup de malt. Mon camarade connaissait son affaire, et la Nouvelle-Zélande, avec sa brasserie Mac’s et ses nombreuses spécialités, répondait à nos attentes. Nous ne savions pas encore, au début de notre pichet respectif, qu’une des soirées les plus incroyables de notre expérience néo-zélandaise allait avoir lieu.

De fil en aiguilles, de discussions en danses, de pichets en rencontres, nous avons terminé la soirée avec notre note intégralement réglée, au milieu de nombreux gens déguisés et avec un billet de cent dollars chacun dans la poche. « Vous êtes des backpackers, je sais ce que c’est, je veux que vous profitiez à fond… »

C’est donc avec une sévère gueule de bois que nous nous sommes réveillés et que nous avons, chacun de notre côté puis conjointement, constaté que nous n’avions pas rêvé. Des détails nous avaient échappé, ce qu’il a été très bon de se remémorer, avant de se souhaiter une bonne chance pour la suite.

 

De bon matin, mon amie Lieke m’a informé qu’elle était de passage à Nelson avec son van et me proposait de me ramasser au passage. Sans me le décrire plus que ça, elle me proposait un plan pour la journée et le soir, sans être certain de rejoindre Picton. Comme je n’avais pas réservé mon ferry, j’étais tout disposé à passer encore un peu de temps par ici.

Nous nous sommes donc dirigés vers les Lacs Nelson, un peu plus au sud. Alors que je pensais avoir admiré de nombreuses vues dans le pays, c’étaient des paysages encore différents qui s’offraient à nous, remplis de collines surmontées de pins. Une nature sans fin.

C’était aussi l’occasion d’une dernière belle balade sur l’île méridionale, Lieke, ma grande bouteille d’eau et moi. Le salut passait par là, il fallait s’activer pour ne pas sombrer. Les six cents mètres de dénivelé du Mont Robert allaient rondement mener l’affaire.

 

Que faire ensuite ? Se séparer sur cette bonne touche, laisser partir Lieke pour Christchurch et aller à Picton, ou continuer de profiter ensemble, dans la direction de Blenheim, capitale nationale du vin, avec une acolyte qui avait travaillé chez un chef de file du secteur et connaissait donc son sujet ? Le voyage, ce sont aussi des choix épineux… ou pas.

Nous nous sommes donc remis en chemin, et avons traversé d’énormes vignes dans la dernière partie du trajet. Il était malheureusement trop tard pour visiter les domaines et la perspective d’un cours complet d’œnologie, en anglais local, ne m’enchantait guère.

Une fois installés au camping, nous avons trouvé notre bonheur dans une petite boutique artisanale, où, après une dégustation de plusieurs vins et une conversation entre experts, notre choix s’est porté sur le pinot gris, fruité et agréable en bouche.

Dès lors, quoi de mieux qu’une partie d’un billet de cent dollars pour le payer ? Tout ceci avait beaucoup de sens ! En regroupant nos ressources, ce sont un bel apéritif et des pâtes au saumon qui l’ont accompagné, de fort belle manière.

Après une nuit bien méritée et un réveil ensoleillé, nous nous sommes finalement dit adieu. Cette fois-ci, c’était la dernière que nous nous voyions. Notre association avait fonctionné à merveille, partant d’une simple discussion près du lac Tekapo et d’une bonne dose de confiance. Le cercle étant vertueux, nous en sortions tous deux encore plus ouverts et pleins de foi dans l’humain.

Le stop pour Picton, extrémité de l’île et l’un des deux ports du ferry, a ressemblé à une formalité. Je venais de dépasser le pont de sortie de la ville et m’apprêtais à poser le sac à dos et lever mon pouce, mais aucun de ces deux gestes n’a été nécessaire. Un jeune local s’est naturellement arrêté et m’a permis d’atteindre les lieux.

La localité est au milieu de sounds, ces anciennes vallées recouvertes d’eau de mer. Par chance, le temps s’est découvert et le bateau, simple moyen de transport, s’est transformé en une véritable croisière pittoresque. L’eau des alentours a viré du bleu profond au turquoise, et comme si cela ne suffisait pas, un banc de dauphins est venu s’amuser à peu de distance de la coque.

 

Nous voguions plein nord, en direction du détroit de Cook et de l’île septentrionale. L’île que je venais de quitter me laissait d’ores et déjà un souvenir impérissable, et plaçait la barre extrêmement haut en termes de diversité de paysages et de rencontres fortuites facilitées par l’auto-stop.