Ambiance musicale : Spirit in the sky – Norman Greenbaum

Après des adieux à Benjamin et la prise de quelques forces, je me suis dirigé vers le point que je supposais le meilleur pour partir de la ville. J’avais entendu que le stop fonctionnait bien sur l’île du Sud et, après des essais fructueux à plusieurs lors de pays précédents, je voulais me lancer par moi-même.

Je recherchais ainsi une expérience plus aléatoire, ne donnant aucune assurance d’atteindre la destination, mais laissant aussi une plus grande liberté dans la continuité du voyage et offrant la possibilité de rencontrer de nombreuses personnes sur la route.

Pour une première, cette expérience m’a fait passer par plusieurs sentiments. En étant plutôt bien positionné, mais toujours en pleine ville, les gens passaient très nombreux mais sans se soucier outre-mesure de mon sort.

Le sourire et l’enthousiasme étaient de mise mais je vivais chaque voiture qui passait sans s’arrêter comme un refus pur et simple d’avoir quoi que ce soit à faire avec moi et la confiance ne pouvait que se détériorer. Les jeunes skateurs qui me recommandaient de prendre un taxi pour aller à destination ne m’aidaient pas beaucoup, mais cela participait de mon apprentissage.

Au bout d’une petite heure, une voiture s’est arrêtée. Il n’était pas question de m’emmener très loin mais plutôt de me donner le coup de pouce qui me manquait : me déposer à la sortie de la ville, à la jointure de deux routes très fréquentées qui allaient vers le sud.

C’était tout ce dont j’avais besoin. Par la même occasion, ce local, au milieu d’autres sujets, m’a conseillé sur l’attitude à arborer pour que mon entreprise soit couronnée de succès par la suite. C’est donc grâce à lui que l’aventure a réellement pu commencer.

Dix minutes plus tard, c’est un Écossais en van qui s’arrêtait. Conor allait à Queenstown, à cinq heures de là, et pouvait donc m’y déposer. Ma toute première idée consistait à relier Timaru, sans vraiment de conviction, mais ces deux personnes m’ont aidé à y voir plus clair et à changer de plan pour m’arrêter vers le lac Tekapo.

La route a été très plate au début, pendant des heures, pour ensuite se vallonner et laisser apparaitre des formes. Les collines étaient très sèches, l’herbe était complètement brûlée par le soleil. Comme Conor avait besoin d’une sieste, j’ai même eu la chance de conduire durant le trajet, à gauche bien entendu. Chemin faisant, nous avons croisé une maison sur roues.

 

Après quelques heures, je suis finalement arrivé à l’endroit prévu. C’est un temps grisâtre qui m’a accueilli mais je pouvais savourer ma pause-déjeuner en face du lac. J’avais accompli mon premier long trajet, la discussion avait été riche et je sentais une certaine fierté de ne pas avoir abandonné et cédé à la facilité de prendre un bus.

 

Les nombreux avantages de ce mode de transport étaient maintenant limpides. Le chemin pour aller quelque part devenait ainsi partie intégrale du voyage, la destination n’était plus uniquement l’objectif.

Pour les conditions météorologiques, en revanche, le stop n’allait rien changer… C’est sous une petite averse et avec un vent persistant que j’ai installé ma tente, récemment acquise en Australie, en prévision des nuits que j’allais pouvoir y passer dans ce pays accueillant pour les campeurs.

Ce que j’ignorais alors est que la pluie allait se montrer récalcitrante et tester les limites de ma patience et l’imperméabilité de mon habitation précaire mais adaptée. La première allait se montrer intacte, en particulier grâce aux intéressantes discussions avec mon voisin de tente Willem de Belgique, et la deuxième se révélait à la hauteur des promesses de ses caractéristiques techniques.

C’est donc après trois jours et le constat que l’endroit était très fréquenté par les Allemands (comme toute la Nouvelle-Zélande) et rempli de lapins dans les environs que j’ai pu commencer à découvrir le coin, à la faveur d’une belle éclaircie de fin de journée annonçant un meilleur lendemain. L’Eglise du Bon-Pasteur attirait les quelques touristes présents.

 

J’ai donc commencé la journée suivante avec l’ascension jusqu’à l’observatoire du Mont John, offrant un panorama exclusif sur la région. C’est l’un des meilleurs endroits de Nouvelle-Zélande pour admirer et étudier les étoiles, tant la pollution lumineuse est quasiment absente.

Si la forêt cachait quelque peu la vue au début, c’était pour mieux révéler le spectacle une fois en haut. Le lac était « simplement » bleu azur, avec une intensité d’une grande rareté. Au loin, les Alpes du Sud se dévoilaient, avec sans doute le Mont Cook au milieu des nuages. Il était maintenant certain que j’avais bien fait d’attendre une configuration plus propice.

 

Il y avait en fait plusieurs lacs dans le coin, mais le Tekapo était de loin le plus massif. Il est artificiel et sa couleur vient de la « farine de rocher », une espèce de poussière arrachée aux pierres par les eaux des glaciers, et qui donne cette couleur si spéciale quand elle est combinée aux rayons du soleil. Associée aux collines recouvertes d’herbes grillées, le contraste était saisissant.

 

Après avoir rencontré Lieke et nous être hypothétiquement donné rendez-vous pour plus tard, nos routes convergeant, il était temps de redescendre de la grosse colline et de partir pour la prochaine destination, Aoraki/Mont Cook, la première partie de la dénomination venant du nom d’une des principales tribus maories de l’île du Sud.

 

Avec la bonne intention et toujours la chance de mon côté, j’ai fini par rejoindre le camping tenu par le Department of Conservation, grâce à l’aide de trois voitures. Jaap, qui conduisait la dernière, se rendait également sur les lieux, avec la même idée : dormir au pied du point culminant de la Nouvelle-Zélande, dominant le territoire à trois mille sept cent vingt-quatre mètres d’altitude.

Sur le chemin, nos yeux se sont émerveillés devant une ferme à lavande, le lac Pukaki, et la base des cimes qu’on ne pouvait pas encore complètement distinguer mais que l’esprit devinait. L’excitation montait à mesure que nous nous rapprochions des sommets.

 

A peine arrivé, et ne voulant pas perdre de temps, je me suis mis en route pour les Sealy Tarns, d’où je devais pouvoir admirer la vallée Hooker et Aoraki/Mont Cook. C’est plus de deux mille deux cents marches plus tard que j’ai atteint le point de vue avec le lac Mueller et celui Hooker, du nom du glacier d’au-dessus.

 

Comme les temps indiqués sur les panneaux étaient très généreux, je me suis mis en route pour monter jusqu’au gîte Mueller, entouré de glaciers et où des névés ponctuait l’ascension. Des sauterelles rebondissaient un peu partout. Si les monuments de glace étaient bel et bien présents, la montagne restait encore et toujours cachée par les nuages.

 

C’est en revenant de la douche publique glacée, située au village et qui venait d’effacer l’après-midi d’efforts, que j’ai enfin eu ma première vision de la célébrité locale. Je me sentais à présent extrêmement léger, du fait du choc des températures et de la vision finale.

 

Je ne savais pas encore qu’après un diner concocté avec des conserves et un équivalent de roquefort de la seule épicerie du village, une superbe voûte céleste allait m’accompagner jusqu’à mon duvet et clore cette journée haute en couleurs. Mon ventre et mes yeux étaient définitivement rassasiés.

 

Le lendemain, j’avais besoin d’en voir encore plus. J’ai donc rejoint la balade la plus populaire du parc, celle menant à la vallée Hooker. Après avoir traversé quelques ponts suspendus et remonté toute la rivière, j’ai finalement atteint le lac Hooker et pu admirer le mont sans élément perturbateur. Un petit kea, perroquet alpin typique de l’île du Sud et pas si fréquent, jouait les agents d’accueil.

 

Cette fois, j’étais comblé : je pouvais rebrousser chemin et rentrer au campement, ranger la tente et prendre la direction du sud, toujours le pouce levé.