Yogui autour du monde

Le Kham, Sichuan de l’ouest, si proche du Tibet

Ambiance cinématographique : Sept ans au Tibet – Jean-Jacques Annaud

J’avais l’espoir, en visitant la Chine lors de ce grand tour, de pouvoir explorer le Tibet. Mais le traitement que réserve le pays à sa province autonome fait qu’il est réellement compliqué de s’y rendre (nécessité d’un permis pour Lhassa, d’un autre pour les endroits environnants, d’être accompagné en permanence, d’avoir un programme strictement établi…) et que cela ressemble à une affaire juteuse pour les opérateurs, entre le guide et le véhicule quatre roues motrices.

J’ai donc abandonné le mythe, sans renoncer à la volonté de m’en rapprocher. Je savais qu’il allait falloir donner de ma personne, avant d’espérer recevoir en retour.

Le Sichuan étant limitrophe, il offre un excellent aperçu de la géographie (le plateau tibétain, majestueux, autour de quatre mille mètres au-dessus du niveau de la mer), de la population (le visage plus foncé et les traits plus tirés que les Han, ethnie majoritaire chinoise, marqués par le soleil d’altitude), de la religion (le bouddhisme tibétain et ses quatre lignées), à quiconque voudra affronter les conditions rudimentaires de transport pour rejoindre l’Ouest de la province.

J’ai rencontré Mahatthana à l’auberge de Chengdu qui revenait de ce coin et qui m’a confirmé que si Seda, lieu de la plus grande académie bouddhiste tibétaine que les Chinois s’attèlent à réduire d’année en année, était bien fermé aux touristes étrangers, il avait pu faire le tour qu’il escomptait dans cette région, se pliant simplement aux contrôles de police sur la route.

Cette précision était importante car les autorités chinoises ferment parfois aléatoirement les accès aux touristes étrangers, sans prévenir, même dans cette région, échaudées après les protestations contre la répression qui avaient eu lieu en 2008 à Lhassa et qui s’étaient propagées aux zones tibétaines des provinces voisines.

Cela a donc commencé par Kangding, deux mille six cents mètres d’altitude, capitale de la préfecture autonome tibétaine de Garze, qui correspond au Kham, une des trois provinces traditionnelles de l’ancien Tibet. Sur la route, nous avons doublé de nombreux cyclotouristes à l’assaut de l’autoroute Sichuan-Tibet, portion de plus de deux mille cent kilomètres reliant Chengdu à Lhassa, leur réservant dix cols à plus de quatre mille mètres d’altitude et d’innombrables tunnels.

La ville rassemble tous les soirs, sur sa grande place, une bonne partie de ses habitants, pour des danses en groupe. C’est l’occasion de voir du monde quotidiennement et de rester en forme, quel que soit son âge et dans un décor stellaire, les versants de montagne alentour étant illuminés.

Le long trajet pour rejoindre Ganzi a laissé apparaitre de grandes prairies très vertes, des cimes enneigées et des collines recouvertes de drapeaux de prière et de mantras écrits en tibétain. J’étais en décalage avec les trente degrés précédemment ressentis à Chengdu.

Les stupas (chorten en tibétain) figurent en bonne place dans tous les villages traversés et les nombreux temples marquent une omniprésence de la religion. Cette caractéristique est d’ailleurs très visible, les monuments usant de nombreuses et riches décorations dorées, et il n’était pas rare de croiser des pèlerins aux allures d’ascètes, parcourant la région.

La ville de Ganzi, perchée à trois mille cinq cents mètres, m’a ravi avec ses rues colorées, son ambiance détendue et son cadre laissaient rêveur. Ma chambre, juste au-dessus de la gare routière pour plus de praticité, donnait directement sur les sommets fraichement recouverts.

C’est aussi ici que j’ai vu le premier monastère bouddhiste tibétain et ses occupants, tout de pourpre vêtus et déambulant dans la rue, chapelet en main : le début d’une longue série…

Les choses sérieuses ont commencé le lendemain, quand après avoir longuement détaillé et négocié mon aller-retour en voiture partagée, nous avons pris la route de Yaqing (Yarchen Gar en tibétain), village entièrement religieux, connu pour son monastère et son académie de la tradition Nyingma (axée sur la méditation). Quand je dis « nous », je parle du chauffeur, du moine qui allait à cette même destination et de mon passeport, sésame indispensable lors des contrôles d’identité (attendus) qui ont émaillé la journée.

La route pour y aller passait par un col que la neige récente avait eu la bonne idée de maquiller, et le spectacle fut tel que même des moines venant à contre-sens s’arrêtèrent pour le prendre en photo.

Dès mon arrivée, j’ai été réellement impressionné par les lieux. Il y aurait environ dix mille moines et nonnes habitant ici, la plupart étant des femmes, et beaucoup seraient venus après la première démolition partielle de Seda en 2001 (Larung Gar en tibétain). Ce sont deux énormes structures dorées qui m’ont accueilli, l’une étant un stupa et l’autre une statue d’une divinité. Leur caractère massif fait qu’il était impossible de ne pas avoir le regard aspiré de ce côté.

Je pense qu’un occidental qui se promène seul attire également l’attention, et que cette dernière était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. C’est ainsi que Pandsoujouma, apprentie nonne bredouillant quelques mots d’anglais, m’a pris sous son aile et a décidé de m’offrir la meilleure expérience possible du coin.

Grâce à elle, de nombreuses portes se sont ouvertes et j’ai pu m’immerger totalement. Elle m’a introduit dans son école, où j’ai rencontré le responsable qui m’a offert une petite représentation de Bouddha dorée. J’ai cherché quoi échanger mais n’avais que des chewing-gums à donner en contrepartie, même si l’essentiel n’était pas là.

Nous avons ensuite visité le sanctuaire dédié au précédent chef religieux de la ville, qui avait atteint un rang élevé dans l’atteinte de l’Eveil et pour qui un vrai culte est aujourd’hui réservé.

Après cela, nous avons rejoint l’un des temples où un office avait lieu, et où un lama orateur récitait des mantras et donnait le sermon de la journée. La foule était très attentive, malgré le soleil agressif et la rigueur du confort que le sol lui accordait.

Vers la fin de la séance, Pandsoujouma m’a entrainé vers le lieu de passage du lama, une fois sa leçon distillée, afin de procéder à des offrandes et d’être béni en retour. Certains moines donnaient de l’argent quand d’autres offraient des marchandises diverses. C’est ainsi qu’en l’échange d’une poignée de bonbons mongols, j’ai eu le droit à ma bénédiction tibétaine.

Les choses se déroulaient vraiment bien et le fait que je découvre le coin et échange avec une locale n’était peut-être pas une bonne chose pour tout le monde : c’est ainsi qu’un policier s’est montré, avec présentation du badge et prière de le suivre au commissariat tout proche, comme le FBI dans les films américains.

Le contrôle a été cordial, même si les vérifications sur mes objectifs ici étaient insistantes, avec la volonté de savoir pourquoi je parlais à des locaux, combien de temps j’allais rester ici, comment j’étais venu ici, etc…

Comme je lui expliquai que je n’allais rester que la journée et que j’étais juste venu pour voir, je n’ai pas rencontré d’obstacle pour qu’il me laisse retourner visiter et retrouver ma guide personnelle. A condition de ne pas faire de photos, sous peine d’expulsion, et de bien repartir à quatorze heures, comme entendu avec le chauffeur, et avec, en prime, le conseil de faire très attention à mes affaires de valeur. Il est vrai que je me sentais plutôt en insécurité depuis mon arrivée…

Pour me remettre de mes émotions (ou tout simplement pour se restaurer), j’ai ensuite été invité à manger dans l’école, en compagnie de quelques cadres de l’établissement. L’heure de mon départ et de la leçon de Pandsoujouma approchant, nous avons tout de même bravé l’interdit et immortalisé la rencontre…

Au moment de repartir, le conducteur n’était subitement plus partant, puisque je partageais la voiture… tout seul ! Contrairement à l’aller, il n’avait trouvé aucune autre personne à emmener, ce qui était un problème pour sa rentabilité. Après avoir tenté de me faire payer la différence sans succès, et de revenir sur la négociation initiale en expliquant que j’avais mal compris, il me signala que nous partirions finalement à dix-sept heures. Le policier, qui était venu vérifier que je respectais mon engagement de départ, ne trouva rien à y redire…

J’ai donc pu déambuler tout seul, cette fois, au milieu des habitations de fortune des moines. Ils utilisent ici tous les matériaux qu’ils peuvent trouver et l’utilité est privilégiée au confort. Comme pour les habits, le pourpre est partout.

Je me suis également approché du « quartier » féminin, là où toutes les nonnes vivent et où les moines n’ont pas droit d’accès. En prenant de la hauteur, l’endroit ressemble à une ville visuellement très organisée, comme une place forte féodale, fracturée par son « avenue centrale » et entourée par la rivière. De petits abris sont aussi disséminés sur la colline, pour pouvoir méditer dans un plus grand calme qu’au milieu de la promiscuité urbaine.

Les dernières minutes m’ont permis de capturer quelques habitants tournant autour de la grosse stupa, récitant des mantras et tournant des moulins à prières, sans se soucier du temps qu’ils passaient à le faire, leur chapelet leur donnant l’étendue de ce qu’il restait à faire.

J’ai fini par repartir de cet endroit magique, un peu plus tard que la deuxième heure prévue, mais avec le sentiment d’une journée plus que remplie. La découverte valait franchement les heures de piste pour l’atteindre.

Quand je suis retourné manger une soupe de nouilles dans le même endroit que la veille, le papi qui m’avait fait la conversation seul le jour précédent pendant tout le repas m’a accueilli triomphalement, comme si le fait que je revienne validait son plat. Il enchainait les questions et les réponses, ne sachant qu’une chose de moi : que j’étais français et que j’étais allé à Yaqing.

Il gesticulait tellement que j’en venais à rire, et que ça l’entrainait encore plus. J’ai même eu le droit à un petit cours de calligraphie, en guise de dessert.

Le lendemain, j’ai repris la route pour Litang, une des plus hautes villes du monde à plus de quatre mille mètres, et atteint ma plus haute altitude jusqu’alors, avec un col à quatre mille quatre cent quatre-vingts mètres. Au-delà de son monastère et de la naissance de plusieurs hommes saints (septième et dixième dalaï-lama), la ville est connue pour sa pratique du rituel funéraire du sky burial, cérémonie religieuse pendant laquelle un défunt, après avoir été longuement préparé et béni par un lama, est « offert » aux vautours qui viennent le dévorer.

La cérémonie est la fin de la période de deuil, et n’est pas accueillie de façon triste, puisqu’on croit ici que l’âme a déjà quitté le corps depuis longtemps et qu’il ne s’agit que d’un retour du corps à la terre, dernier acte de compassion. C’est aussi une façon de traiter les corps quand la terre est gelée et qu’il est impossible de les enterrer.

Je n’ai pas pu assister à l’un de ces rites, pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait pas eu de décès récents. Néanmoins, j’ai pu approcher les oiseaux, avec une certaine dose d’appréhension, en restant sur mes gardes : je savais ce qu’ils étaient capables de faire aux morts… Ils sont massifs, font environ quatre-vingts centimètres de haut et vivent en bande.

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  1. Marilou

    Je suis fière de toi mon frère!! Je lis tes questionnements, difficultés et émerveillements que tu vis. Je suis admiratrice de la façon dont tu arrives à découvrir les choses seul… Gros bisous

    • Merci ma sœur ! Tu sais, je n’avance jamais vraiment seul : j’avance grâce aux conseils glanés à droite, à gauche, grâce aux personnes qui me donnent les bonnes indications… Encore faut-il poser les questions ! 🤗

  2. DS

    Ca me rappelle grandement mon périple à Shangri-la. J’ai pu aussi découvrir la culture tibétaine. Que la force soit avec toi mon coco !

    • J’y suis passé mais n’y suis pas resté. J’étais trop pressé de voir les Gorges du Saut du Tigre… Ça arrive bientôt ! 😉

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