Ambiance musicale : Bright side – Mozambo

En cette première journée dans la ville, j’ai décidé de m’attaquer à la Cité Interdite. Je me suis dirigé d’un pas décidé jusqu’à ce qu’une personne, à la sortie du métro, m’indique qu’elle avait essayé d’y aller mais qu’il n’y avait déjà plus de places. Je savais qu’il y avait à peu près quatre-vingt mille places en vente par jour, mais n’avais aucune idée de la rapidité de leur écoulement.

Puisque l’entrée était assez lointaine, que c’était la seule personne parlant anglais que j’avais rencontrée et qu’il revoyait ses plans pour aller acheter du thé pour sa famille, je me suis dit que j’allais remettre à plus tard la visite.

Elle ne pressait pas, d’autant que le temps n’était pas spécialement clément et que c’était apparemment la quinzaine du « nouveau thé », celui qui vient d’être récolté, préparé, filtré et envoyé pour inonder les magasins de thé et disparaitre aussitôt, sous l’effet de la demande. Quelle aubaine !

Nous avons donc traversé la place Tien’Anmen, une des plus grandes places du monde (quatre cent quarante mille mètres carré, pouvant accueillir un million de personnes), et Ping (puisque c’est son nom) me montrait en même temps les points d’intérêt avec le monument du gouvernement et le mausolée dédié à Mao Zedong. Ce dernier suscite toujours une grande ferveur et continue d’attirer des touristes de toute la Chine, voulant se recueillir là où le Grand Timonier est enterré.

C’est depuis cette place qu’il s’est adressé à la foule en 1949 lors de sa prise de pouvoir. C’est également ici que des rassemblements pro-démocratiques furent sévèrement réprimés en 1989…

La promenade était agréable, j’apprenais plein de choses, dont le caractère « thé », sa construction, sa signification. Nous nous sommes retrouvés dans une boutique de thé, avec la volonté de tester divers parfums, avant de potentiellement choisir, même si mon sac déjà lourd et le fait que je n’en consomme pas habituellement ne m’invitaient pas à en acheter.

L’accueil était amical, les senteurs puissantes et la musique adoucissante. Des thés, nous en avons goûté ! Huit, pour être précis. A la fleur de jasmin, au ginseng, du thé noir au litchi, aux fruits rouges, un qui avait plusieurs années, et pour lequel on m’a fait un parallèle avec les grands vins français.

Chaque thé est supposé avoir des vertus et maintenir le consommateur à l’écart du médecin. Mais pas à l’écart du banquier, manifestement…

La note tendue à la fin de ce bon moment a ruiné instantanément son bénéfice. Ping était heureux, il me répétait à l’envi que ce deal était très bon, que c’était de l’excellent thé, me montrait même quelques thés d’exception mis en vente sur Alibaba pour le prix d’une voiture de marque Audi.

De mon côté, cette dégustation à trois chiffres me laissait la gorge sèche. Si j’achetais du thé, la dégustation devenait gratuite, même si les deux boîtes de thé coûtaient le même prix.

L’idée de m’échapper en courant m’a traversé l’esprit, de même que celle de me rebeller, mais j’étais juste coincé dans cette arrière-boutique. J’ai donc négocié un peu et payé en espérant pouvoir revendre ces merveilles, ou les offrir à des hôtes de couchsurfing.

J’ai continué ma journée, sans Ping, qui devait rentrer à son hôtel… Je me suis rendu au Temple of Heaven, où les empereurs avaient pour habitude de se retirer une fois par an, quelques jours, pour prier pour d’excellentes récoltes, dans le bien-nommé Hall of Prayer for Good Harvests.

De nombreuses personnes âgées jouaient aux cartes, dans un esprit de camaraderie, et quelques-unes passaient la tête pour voir le jeu des uns et des autres et les évaluer, sans pour autant les déconcentrer le moins du monde.

L’architecture des monuments est harmonieuse, mêlant astucieusement les couleurs (bleu, vert, pourpre, jaune doré) mais aussi les matières (bois, pierre, carrelage).

Le soir, j’ai rejoint Henning et Runan, que j’avais rencontrés au Khövsgöl. Nous sommes allés manger dans un hutong (vieux quartier d’époque, avec des habitations de faible espace regroupées dans une cour donnant sur une ruelle, et des toilettes communes à l’extérieur) avant d’aller prendre un verre un peu plus loin.

Cette belle soirée l’a été aussi pour le moral. Même si je ne voulais pas croire qu’il s’agissait d’une arnaque (Ping m’avait laissé ses coordonnées pour qu’on se revoit, les théières étaient hors de prix dans cet endroit, ce qui rendait possible le prix élevé du thé), de très nombreux indices le laissaient supposer.

Ce fut donc l’occasion de ranger cette expérience dans la catégorie des leçons apprises. Supposer la bienveillance des gens, tout en se méfiant des propositions trop alléchantes ou bienvenues.

La journée suivante, je suis véritablement allé visiter la Cité Interdite. Ce palais, le plus grand palais impérial en bois au monde qui ait survécu au temps, a abrité les deux dernières dynasties Ming et Qing. De 1420 à 1911, soit presque cinq cents ans, il a vu siéger vingt-quatre empereurs. Il y a plus de huit mille bâtiments dans la Cité Interdite, la plupart étant décorés de la même façon que le Hall of Prayer for Good Harvests.

Le musée dans lequel il a été transformé est une gigantesque exposition de pièces d’art, regroupant aussi bien la céramique, que la calligraphie et la peinture, ou encore la sculpture et tout l’artisanat représentant le suprême pouvoir et l’élégance de la famille impériale.

Il se trouve que cette journée était très particulière, puisqu’une sévère pollution de l’air est venue troubler la vision que je pouvais avoir de la ville. Une épaisse atmosphère de particules avait enveloppé la ville. Sur les bons conseils d’Henning, j’ai donc usé d’un masque.

Cet évènement est né d’une tempête de sable dans le désert du Gobi, et le vent a manifestement transporté beaucoup d’éléments. Sur une échelle dont le dernier niveau est « supérieur à trois cents » (et classé comme « Dangereux »), l’indicateur a atteint neuf cent cinq ce jour-là. Pas étonnant, dans ces conditions, de devoir limiter son activité externe ou porter un masque, et même d’avoir un purificateur d’air dans sa voiture.

La ville est particulièrement étendue et le moindre des déplacements à pied est une épreuve. Aussi, quand j’ai pu louer un vélo le lendemain et parcourir à nouveau de nombreux endroits, presque sans efforts, et sous un beau ciel bleu, le centre-ville m’est apparu beaucoup plus accessible.

La circulation était un peu étourdissante, des piétons, vélos, scooters électriques, voitures et bus venant et allant de toutes parts. Mais mon passé parisien en vélib’, une solide attention et les nombreuses pistes cyclables m’ont permis de m’en sortir assez facilement.

Ici, tout le monde utilise les Mobike et autres Bluegogo, vélos en libre-service qu’il est possible de laisser littéralement n’importe où. Un simple paiement de caution via WeChat permet de débloquer la roue, et aucune borne ne vient surcharger l’espace urbain déjà bien congestionné. D’une façon générale, les QR codes sont partout et permettent très souvent de payer le commerçant.

J’ai ensuite vécu ma première expérience de couchsurfing, et c’en était une réelle puisque j’ai véritablement dormi sur le canapé. Mais surtout, mon hôtesse habitait dans un hutong. La complexité pour trouver l’endroit a été récompensée par l’authenticité de l’expérience.

Un grand calme se dégage de ces ruelles, la nuit, et la promiscuité et le grand sens de la communauté de ses habitants sont les maitres-mots ici.

Nous avons diné dans un restaurant, en dégustant un hotpot mongol, sorte de fondue faite de bouillon, où la viande marinait avec d’autres légumes. Viande à dépecer avec les gants et à déguster ensuite avec les baguettes. En ayant pris de telles forces, j’étais prêt pour la belle journée du lendemain.

Après avoir fait mes devoirs et déniché ce qui semblait être une bonne option, je me suis mis en route pour la Grande Muraille de Chine, et plus précisément, Jinshanling. Ce choix, apparemment prisé des photographes, impliquait d’être déposé sur une aire d’autoroute, de rejoindre la Muraille à pied (en passant par le chemin que les locaux utilisent, contournant ainsi l’entrée officielle et ses tickets) puis de revenir prendre le bus au même endroit pour le retour.

Mon bel élan fut presque stoppé par un panneau en anglais, indiquant que le bus ne circulait plus depuis un mois, et deux personnes attendant à côté que quelqu’un veuille bien le croire. « Venez donc prendre mon beau taxi, pour trois fois le prix… ». Une simple vérification un peu plus loin m’a permis de constater que le bus était bien là.

« If you fool me once, shame on you. If you fool me twice, shame on me ! »

J’ai compris l’attrait des photographes à l’instant même où je me suis retrouvé sur l’édifice. D’un côté, la direction de Simataï et une portion dans son état originel, laissant découvrir un passage abîmé, aux prises avec la végétation. De l’autre, un beau tronçon rénové, tout en longueur, offrant de belles perspectives et du dénivelé au gré des pics et des creux qui l’accueillent.

J’étais sur le plus grand bâtiment de défense militaire de l’histoire, celui de la frontière Nord de la Chine. D’un côté de la Muraille, la Mongolie et les territoires du Nord-Ouest. De l’autre, Pékin et l’accès à la Chine et au Sud. D’environ six mètres de haut et cinq mètres de large (selon les endroits), il a été construit, détruit, reconstruit au fil du temps (d’avant Jésus-Christ au XVIIème siècle) et s’étend sur plus de six mille kilomètres (pour les murs, sans compter les barrières naturelles qui sont nombreuses). Si l’édifice a longtemps résisté, il a quand même dû abdiquer face à l’armée de Kubilaï Khan.

Maintenant, c’est un chemin de randonnée exigeant mais pour lequel les efforts sont amplement récompensés.